Théâtrorama

Retour aux sources

“Je m’étais promis de vivre en ermite au fond des bois”. Tel est le voeu que se fait Sylvain Tesson, écrivain-aventurier, à la veille de ses quarante ans. Pendant six mois, dans une cabane en rondins, il s’installe sur les bords du Lac Baïkal en Sibérie, à la pointe du cap des Cèdres du Nord. Pas de route, un village à 120 kilomètres, des températures à – 30° C en plein hiver. Des livres, des cigares, de la vodka, beaucoup de vodka parfois, le voilà prêt à vivre la vie des ermites, une vie resserrée autour de l’essentiel, avec des gestes simples et pour seule compagnie, celle des ours, des oiseaux, des arbres et parfois celle occasionnelle d’un visiteur de passage. Le paradis ? A voir…Car au fin fond de la taïga, dans l’immobilité de la nature en hiver, les seules activités consistent à couper du bois, préparer son repas, pêcher, écrire et lire. 

Habiter les silences et dire le monde…

Sur la scène minuscule du Théâtre de Poche à Paris, William Mesguich, dans un jeu incandescent, de sa voix superbe de conteur qui nous conduit aux confins de la méditation et du songe, met en scène ce texte passionné où chaque mot découpe et habite les silences de la nature. Dans la scénographie minimaliste de Grégoire Lemoine, la cabane devient le lieu de tous les délires qui naissent dans la solitude extrême, mais conduisent aussi à d’autres découvertes sur le monde et soi-même. Une fenêtre devient le seul écran possible vers la ville trop lointaine. Des silences de la nature, d’un esprit parfois embrumé par l’alcool, surgissent les fantasmes qui servent aussi à apprivoiser le temps et l’espace. Le texte adapté par Charlotte Escamez se construit au fil de la pensée, les mots déchiffrent la langue des arbres, se nourrissent de leur propre substance et font de la cabane un laboratoire des transformations à la fois physiques et psychiques. 

Dans la solitude, la marche du monde, les actes à poser ne signifient plus rien. Dans la solitude, on finit par se sentir plus vivant parce que le monde est mort. “Lire la vie de Casanova alors que les vents agitent les cèdres sibériens  est un luxe de dandy dans une vie de moujik”, souligne avec humour Sylvain Tesson. Avec soi-même pour seul interlocuteur, que devient le contrat social ? Que signifie la solitude lorsqu’on est son seul interlocuteur, que la réalité se transforme au gré des hallucinations qui naissent de l’excès de silence alors que le brouillard réveille les ombres endormies ?  

“Dans les forêts de Sibérie, nous dit Sylvain Tesson, “J’ai regardé les jours passer, face au lac et à la forêt. J’ai coupé du bois, pêché mon dîner, beaucoup lu, marché dans les montagnes et bu de la vodka, à la fenêtre. J’ai connu l’hiver et le printemps, le bonheur, le désespoir et, finalement, la paix”.

Dans ce spectacle tout en nuances et en sobriété, Sylvain Tesson et William Mesguich,  nous prennent par la main et nous obligent à nous interroger sur ce monde qui grignote les espaces de solitude et de silence, qui impose le bruit et écrase le merveilleux que nous offre la nature. Prendre le temps, laisser l’ennui nous conduire, se parler à soi-même et laisser émerger nos doutes et nos terreurs pour être conduits par les petits riens d’une réalité qui mène à une simplicité que nous possédons tous au fond de nous-mêmes. À l’heure où les fantômes se glissent dans la solitude, la langue de Sylvain Tesson devient murmure ou exaltation. Le jeu de Mesguich se glisse dans les interstices des mots pour faire corps avec l’attirance de l’écrivain pour la mort, pour dire aussi la nécessité du semblable pour partager la beauté d’un monde où “le vent taille des congères à coups de dents”.

  • Dans les forêts de Sibérie
  • D’après le livre de Sylvain Tesson publié aux Éditions Gallimard.
  • Mise en scène et interprétation : William Mesguich
  • Vu au Théâtre de Poche
  • Crédit photos: Chantal Delpagne

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