Théâtrorama

De la United Fruit Company à Chiquita Banana

Après nous avoir réjoui avec “Un Démocrate” son précédent spectacle, Julie Timmermman, avec “Bananas(and kings)” remet le couvert, écrit et met en scène une suite au système de domination bien rôdé qui a établi la manipulation en démocratie. Continuant à s’inscrire dans la tradition brechtienne du récit, après avoir disséqué le pouvoir de la com’, elle s’attaque ici à la mise en place des lobbys qui patiemment, dès les débuts du XXème siècle, ont étendu leurs tentacules et enserré, peu à peu dans leur système, l’économie mondiale.     

Dans le premier spectacle de son diptyque, Julie Timmermann avait évoqué le coup d’État orchestré par la United Fruit Company et la CIA au Guatemala en 1954. Revenant sur cet épisode, elle développe le sujet et raconte dans ce second volet, dans une écriture et une mise en scène d’une précision au cordeau, la confiscation et la main mise des multinationales sur les États souverains. 

2012. Cour de justice de Los Angeles. Procès de la Société Chiquita Brands, une multinationale qui domine le marché de la banane. La société est assignée en justice par  les travailleurs qui la rendent responsable de leur stérilité en raison des pesticides utilisés dans les bananeraies. “Nous ne sommes pas responsables” est la conclusion de ce procès. 

Partant de ce fait d’actualité, Julie Timmermann démonte sans didactisme le processus et dévoile tous les rouages secrets, les malversations, les manipulations organisées d’une entreprise qui va s’organiser autour de l’évitement fiscal, la corruption des puissants, le mépris de la démocratie, l’asservissement des peuples autochtones pour finir par l’empoisonnement irréversible de la terre par les pesticides.

“Planter la civilisation”

Remontant le temps, sous la forme d’un cabaret brechtien qui prend les couleurs du western ou des films de gangsters des années 30, Julie Timmermann raconte la spoliation des populations et la montée en puissance des multinationales. La remarquable scénographie de Charlotte Villermet et les lumières de Philippe Sazerat, dans un dispositif a minima, découpent l’espace entre intérieur et extérieur. Les changements se font à vue : un rideau noir devient voile de bateau, fenêtre, bâche de protection. En s’ouvrant , il définit l’ailleurs, la nature, l’espace de l’imaginaire et l’espace occulte des Indiens. L’avant scène est l’endroit de la transaction et des jeux de pouvoirs où se magouille l’emprise des multinationales sur les territoires et les personnes, un espace aussi où la volonté de rationalisation économique abolit le rapport sacré à la terre des populations autochtones.  

Cette pièce doit aussi beaucoup au jeu plein d’inventivité des quatre comédiens – Anne Cressent et Julie Timmermann pour les femmes et Jean-Baptiste Verquin et Mathieu Desfemmes pour les hommes –  Optant pour la forme de l’opéra bouffe, la mise en scène laisse une place centrale à la musique et propose une alternance de formes de jeu. 

Jouant la distanciation, les personnages se racontent eux-mêmes, dans un rapport direct au public. Vêtus de costumes d’époques mélangées et de styles décalés, les comédiens assument un jeu qui passe de l’épique au poétique, du grotesque à l’ironie, du poétique au réalisme. Clowns monstrueux, bouffons égoïstes ou petites gens écrasés et dignes. Entre duos, solos et choralité, ils déroulent chaque étape de cette histoire imposée parle “le système de Minor qui a surpassé l’esclavagisme”. Un système où rien n’est laissé au hasard et qui se transforme à chaque étape en “dollars-bananes”. 

Remonter aux origines, pour éclairer le présent, telle est la démarche de Julie Timmermann. 1899. Création de la United Fruit Company devenue depuis Chiquita Brands, une des premières multinationales. Un modèle qui a servi dans le monde entier : en Afrique, au Brésil… En s’appuyant sur les pouvoirs locaux, orchestré par la CIA, à coups de dollars et de malversations, il a conduit en Amérique  à 36 ans de guerre civile après le coup d’Etat au Guatemala en 1954. Il a servi de laboratoire aux coups d’Etat du Chili, d’Argentine, du Nicaragua, du Salvador, de Cuba… avec plus ou moins de succès. En changeant de nom, la Chiquita Brands, a obtenu le label Rainforest Alliance qui reconnaît ses avancées en matière d’écologie et de droits de l’homme. Par ailleurs, la compagnie a été aussi condamnée en 2007 pour le financement de groupes terroristes en Colombie ! 

“Bananas(and kings)”, un magnifique spectacle à voir parce qu’il nous interpelle sur les moyens de lutte contre la confiscation de notre pouvoir de citoyen, 

  • Bananas (and kings)
  • Texte et Mise en scène : Julie Timmerman 
  • Avec Anne Cressent, Mathieu Desfemmes, Julie Timmerman, Jean-Baptiste Verquin
  • Jusqu’au 1ernovembre au Théâtre La reine Blanche 

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