Théâtrorama

Faire groupe 

Maëlle Dequiedt, diplômée de l’école du Théâtre National de Strasbourg, après une formation de comédienne et violoncelliste, fonde en 2016 La Phenomena, un collectif d’artistes qui rassemble à l’origine d’anciens élèves du Théâtre National de Strasbourg et tous les corps de métier – scénographe, techniciens…- nécessaires à la production d’un spectacle sur la scène. Travaillant au théâtre et à l’opéra, le groupe a mis la musique au centre de ses créations, “I Wish, I was”, leur dernier spectacle vient clore trois années de résidence au Théâtre de la Cité Universitaire à Paris. 

Sur le plateau en désordre où se bousculent des instruments de musique, les restes de repas et quelques vêtements dispersés, ils viennent s’asseoir sur l’avant scène pour répéter  et interpréter quelques chansons. Eux, ce sont six musiciens amateurs qui, réunis par le hasard des rencontres, avec pour seuls bagages leurs instruments et leurs chansons, sont invités à donner un concert dans la ville d’Ostende. Dans la lumière blafarde, d’un studio de répétitions, ils se projettent vers un avenir lumineux où une foule en délire les acclame, évoquant chacun à leur tour le désir de construire et de rêver ensemble.  

Le plateau comme terrain de jeu

Dans une écriture au plateau, le spectacle se construit entre fiction, partitions musicales et improvisations. Il se nourrit aussi du travail sur le terrain, acquis au cours de différentes résidences et de laboratoires dans le Nord de la France, la Nièvre ou en région parisienne. Cela donne un spectacle iconoclaste, parfois un peu foutraque, nourri d’un véritable amour pour la musique, la rencontre et qui ré-interroge le sens de la fiction et de l’acte théâtral. À l’époque de you tube et des plateformes, à un moment où les concerts en salle sont remis en question que signifient-ils ? A quoi servent-ils avec leur côté éphémère ? Quelles images et quels rêves laissent-ils dans nos mémoires ?  

Si “Trust” le spectacle précédent de La Phenomena adoptait un point de vue de la classe dominante où des cadres au bord du burn out s’étourdissent dans des karaokés, “I Wish, I Was” s’attache à un groupe de jeunes musiciens amateurs qui se cherchent. Les musiques écoutées durant l’enfance ou l’adolescence, voire celles transmises par la famille, sont ré-interprétées, recomposées et finissent à faire du plateau une sorte de “jukebox, grandeur nature” qui constitue la trame du spectacle.

Maëlle Dequiedt revendique dans sa mise en scène et la scénographie de son spectacle, et montre ce côté mal dégrossi, parfois pataud mais enthousiaste et sincère des artistes amateurs. Filmées avec un téléphone portable, des images en noir et blanc racontent les moments de répétitions, la précarité, la lenteur du voyage, mais aussi les échangeurs, les routes qui se multiplient, se divisent et se réduisent parfois à une aire d’autoroute.

Elles disent aussi la construction du groupe, “communauté partielle et éphémère” qui tente de s’inventer en ne sachant rien, mais en faisant quand même. Le Nord devient le décor d’une odyssée où la musique devient la carte et le marqueur de l’espace et du temps. Les mots dessinent les paysages dans lesquels se vivent les délires d’une nuit passée sur un parking d’autoroute et traversée par l’ennui. Une de ces nuits où on peut s’imaginer être Elvis Presley ou Beyoncé.  Pourtant, même si rien ne se passe comme chacun l’a espéré, cela change-t-il les espérances ? 

L’expérience de La Phenomena qui a beaucoup circulé dans le Nord et l’Est de la France sert de liant et se traduit par une autre façon de faire du théâtre. Il s’agit ici de rendre visible une réalité périphérique faites de sensations qui ne se laissent pas dissoudre dans des pseudo-messages.

Maëlle Dequiedt, en travaillant avec le compositeur Francisco Alvarrado superpose les musiques aux images, permet à toutes les influences musicales de se fondre en une forme continue où la musique et chaque strate de l’histoire de chacun finit par constituer un road-movie émouvant et assez nostalgique, dans lequel chaque spectateur finit par trouver son propre chemin. 

  • I Wish, I Was
  • Mise En Scène : Maëlle Dequiedt
  • Une création collective de La Phenomena
  • Avec Youssouf Abi Ayad, Quentin Barbosa, Pauline Haudepin, Mathilde Edith Mennetrier, Romain Pageard, Maud Pougeoise 
  • Durée : 1 h 30
  • Crédit photos: Jean-Louis Fernandez
  • Jusqu’au 27 octobre au Théâtre de la Cité internationale 
  • Tournée : 11 et 12 décembre 2020 La Comédie de Colmar 

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