La nuit des spectres

Retrouvailles à couteaux tirés entre un frère et une sœur, dans une histoire où les plaies sont toujours sanguinolentes. Le dialogue de Paul et Anna ressemble à un champ de bataille où tout a été rasé après l’affrontement. Il ne reste qu’un silence de mort, hachuré de visions d’horreur. Un dialogue durasien découpé à la crête où les non-dits occupent l’espace autant que les mots en grenades.
« Elle.- toi tu es le cogneur. Et moi je suis celle qui crache. Lui.- tu pues comme le cochon et tu craches comme le chien. Elle.- je crache comme le chien et tu gognes comme le sanglier. Nous sommes des animaux. Paul… Lui.- tu prononces mon prénom… »
Ils ne se sont pas croisés depuis quarante ans. Malaise et secret de famille. On apprend vite que dans le Brésil des années 70 où la dictature des militaires sévissait, la sœur était dans le camp des dissidents quand le frère faisait partie des bourreaux. Le titre de la pièce renvoie à l’opération Condor, accord macabre de certains pays d’Amérique Latine pour matraquer l’opposition en masse et faire taire la résistance par la répression.
Anna a été torturée. Mémoire du corps, souvenirs en réminiscence, c’est elle qui organise la rencontre avec son frère. La raison ? L’enjeu de la pièce tourne autour de ce moteur qui mène le personnage dans une superposition des époques pour subir les strates de violence successives. Perte de la temporalité dans une nuit sans fin, la pièce tourne au cauchemar psychique où les hallucinations s’enchaînent pour faire face à un passé jamais digéré. Le face à face redevient une séance de torture dans un huis clos oppressant où les mots s’érigent en antidote pour libérer le corps de visions obsessionnelles corrosives et alléger tant soit peu l’âme pour la mettre en sursis.
Condor, de Frédéric Vossier, Les Solitaires Intempestifs
Crédit photos: Jean-Louis Fernandez
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