Théâtrorama

Victor F.

Victor F.

En choisissant d’adapter le roman de Mary Shelley, Laurent Gutmann questionne nos représentations contemporaines et les formes que peuvent prendre nos désirs. Servie par une belle distribution – et loin des images qui régissent le mythe – cette mise en scène parvient à retrouver l’origine de la stupeur causée par l’apparition du monstre. En effet, ce qui est terrifiant, ce n’est pas tant la laideur du monstre mais bien le fait qu’il reflète en tous points le désir de son créateur.

Victor_F Un Steve Jobs. Voilà peut-être la nouvelle image kitsch de la science toute-puissante et de la réussite. Le créateur du monstre prend les traits du célèbre démiurge de la marque à la pomme. S’agit-il ici d’une référence au fruit de la discorde qui chassa Adam du Paradis ? On peut le supposer tant la mise en scène regorge d’inventivité et de clins d’œuil drôlissimes.

Laurent Gutmann dit vouloir s’affranchir du kitsch, et pourtant c’est bien le kitsch qu’il créé qui permet la compréhension profonde du mythe créé par Mary Shelley. Le metteur en scène en effet convoque des images familières en les détournant subtilement, révélant ainsi leur profond ridicule. C’est le kitsch créé par ce décor de planétarium et de Suisse paradisiaque – tout droit sortie d’un épisode des télétubbies – qui provoque en nous le rire, la terreur, la stupeur. C’est en poussant le plus loin possible les images de la perfection qu’elles nous révèlent leur incongruité, voire leur monstruosité.

Au centre de ce décor, savamment kitsch donc – et qui fait également référence au cadre d’écriture du roman, le Lac Léman – le créateur nous prend à témoin, il va dévoiler bientôt sa création, celle qui changera notre vision du monde et de la vie. En baskets, en homme de bon sens, en génie à la cool, il va tout changer. S’affranchir de l’interdit, c’est seulement, croit-il, s’affranchir du langage de ses pairs (de ses pères) et de ses entraves. Las, le monstre produit – par sa simple apparition – un rejet total de la part de son créateur.

Souris, tu es filmé

Pourquoi cela ? Qu’a donc fait la pauvre créature pour être ainsi détestée ? Sa seule faute est de coller jusqu’à l’absurde au désir de perfection de son père. Le monstrueux révèle ainsi sa nature : il gît dans l’inconscient du désir en même temps que dans l’idée même de la perfection. La perfection réalisée est une abomination. Le désir porte en lui des gisements inépuisables de cruauté.

Qui a lu Frankenstein de Mary Shelley se souviendra d’un élément primordial dans le dégoût causé par la créature : la perfection de son sourire. Le metteur en scène choisit de s’appuyer sur cet élément pour déclencher en nous des réactions apparemment contradictoires. En effet, c’est dans ce sourire figé de la créature qu’apparaissent la monstruosité et la drôlerie. Le pauvre sur-homme est obligé en toutes circonstances de garder cet éclatant stigmate. Ainsi, les situations de détresse en deviennent-elles plus cruelles, et aussi – ce qui nous surprend – plus drôles.

On retrouve dans cette mise en scène une des racines profondes du rire. C’est un paradoxe bien connu, et pourtant il vivifie chaque fois qu’on a la chance de le croiser : Le rire tire son origine du caractère tragique de la condition humaine. Si Prométhée est indispensable aux hommes pour qu’ils avancent, l’un des intérêts principaux du mythe réside cependant dans la punition divine et dans le spectacle d’une torture éternelle.

Victor F.

D’après Frankenstein de Mary Shelley
Texte et mise en scène : Laurent Gutmann
Scénographie : Alexandre de Dardel
Costumes : Axel Aust
Lumières : Yann Loric
Son : Estelle Gotteland
Avec : Eric Petitjean, Cassandre Vittu de Keraoul, Luc Schiltz et Serge Wolf
Crédit photo: Pierre Grosbois

Au Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes, du 5 au 24 janvier

 

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