À un moment où le viol et l’enlèvement de femmes de tous âges font partie des stratégies guerrières de certains pays, rappeler l’histoire des Troyennes emmenées en esclavage par les Grecs, suite à la défaite de Troie, relève de la plus grande actualité.
Accueillis en résidence à la Charteuse de Villeneuve-lez-Avignon, Kevin Keiss- auteur et traducteur de la pièce – et Laëtitia Guédon, metteure en scène, ont dépoussiéré la pièce, traduite souvent pour la lecture silencieuse, pour redonner à la langue d’Euripide la puissance de sa charge orale. Usant de la scansion, du murmure, du chant ou de la psalmodie, « Les Troyennes » raconte l’immédiate après-guerre et donne le point de vue des femmes. La souffrance des femmes de Troie fait écho à celle de chaque femme qui vit actuellement dans un pays en guerre.
Après dix ans de guerre, Troie est tombée. La ville est pillée, mise à sac, puis incendiée. Les Troyens sont massacrés par les vainqueurs grecs qui prennent comme butin les femmes illustres de la cité, contribuant ainsi à annihiler et à soumettre ce qui reste de la civilisation troyenne. Dans les cendres, dans les larmes, surgissent les figures d’Andromaque, la veuve d’Hector, dévastée par l’assassinat de son fils, de Cassandre, d’Hélène, par qui la guerre est arrivée et de la vieille Hécube.
Une interrogation du présent
Sur un plateau nu, ne reste de la ville qu’une sorte de rempart en bois où s’installe un musicien dont les mélopées viennent souligner le déroulement de l’action à la façon du chœur antique. Dans une lumière crépusculaire, les femmes se souviennent, se racontent avant de partir, relayant à tour de rôle la souffrance d’Hécube, reine déchue et chargée de toutes les mémoires passées. Chacune vient jouer, à tour de rôle, sa partition alors que les Grecs viennent les chercher pour les emmener, selon un rituel immuable. Une par une, de Cassandre, la vierge consacrée aux dieux, violée et révoltée, à Hélène transformée en une Marylin antique en passant par une Andromaque qui chante en arabe, elles se trouvent arrachées à leur vie ancienne. Hécube reste seule face à la mort qui l’attend, errant sous les murailles de Troie, dans l’urgence de la transmission d’une mémoire qui s’effiloche avec chaque femme qui s’en va.
Mélange des langues, musicalité du récit, chants funèbres rythment chaque départ. Malgré une mise en scène parfois trop linéaire, il faut souligner certaines trouvailles dramaturgiques, une belle création sonore et une scénographie inventive, une certaine audace aussi à s’attaquer à un texte aussi dense.
Raconter cette histoire en fragments est dramaturgiquement juste, puisque la pièce d’Euripide, écrite en 415 avant JC, représente le fragment d’une trilogie perdue. « Troyennes » rappelle que le temps d’Euripide est aussi le nôtre, celui de l’Histoire, celui où l’homme prend la responsabilité de ses souffrances face à un ciel vidé de ses dieux. Cependant, face au tragique et au nu de la vie, ces femmes racontent avant tout « ce moment de présent où l’on est en vie », alors même que l’on enterre des morts qui « se moquent de toute façon des beaux enterrements ».
D’après Euripide
Traduction et adaptation : Kevin Keiss
Mise en scène : Laëtitia Guédon
Scénographie : Soline Portmann
Musique : Blade Mc Ali M’Baye
Avec Blade Mc Ali M’Baye, Mounya Boudiaf, Kevin Keiss, Arien Michaux, Pierre Mignard, Marie Payen,Valentine Vittoz, Lou Wenzel
Durée : 1 h 45
Crédit photo: Alain Richard
Du 4 Novembre au 14 Décembre au Théâtre 13/Seine
Mardi, jeudi et samedi à 19 h 30- Mercredi et vendredi à 20 h 30- Dimanche à 15 h 30
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