GUERRE, AMOUR ET SAUCISSON
Chez les Shitz, pas de chichi… On se parle comme on mange : mal. L’Enfer c’est les autres et la famille, son purgatoire sur terre. Une cohabitation forcée jusqu’au mariage qui tourne en eau de boudin pour les parents…
Les Shitz ont un boulet boulimique sur les bras : leur fille, Shpritzi, qui passe sa vie à se gaver comme un goret. Ils donneraient n’importe quoi pour la marier. C’est ce n’importe quoi que va tenter de leur soutirer un fiancé militaire de carrière, escroc par convictions. Les parents veulent un petit fils à tout prix. Le prix c’est Tchirk qui va le fixer en parfaite complicité avec Shpritzi, ravie d’avoir un mari. Le père a de l’argent et le jeune couple a les dents longues, prêtes à grignoter l’espérance de vie des parents sans scrupules. Un héritage vaut bien quelques sacrifices. Et ils se donnent du mal pour pousser le vieux couple dans la tombe.
Heureusement que le père Shitz s’accroche à son saucisson pour se donner encore goût à la vie. Un combat de bonne guerre entre la vieille et la jeune génération où les règlements de compte sont aussi tendres qu’un bœuf mené à l’abattoir. Heureusement que la férocité de la ménagerie Shitz s’adoucit en musique. Des chansons pour rêver leurs espoirs et exprimer leurs désillusions. Un savant mélange de causticité et de légèreté de cabaret.
Un cocktail explosif…
Chez les Shitz, on mastique la rosette et on ne mâche pas ses mots. Une pointe de grossièreté qui se digère entre les coups bas, les provocations et les petites bassesses en famille. Hanokh Levin joue les expressionnistes pour faire exploser toute la violence des relations humaines en flirtant délicieusement avec les limites de l’acceptable. Un texte positivement amoral à déguster, qui n’est pas exempt de tendresse dans les passages où la chanson prend le relais de la liberté d’expression. Les personnages ne sont pas dupes de ce qu’ils sont. Une lucidité effrayante qui ne les empêche pas d’élaborer des rêves d’avenir, là où le présent s’embourbe dans une cuisine trop pleine de boustifaille et de placards où dort une ribambelle de cadavres.
L’intensité de la pièce est atteinte dès les premières notes et l’exubérance des personnages s’accorde avec le ton relevé à la sauce piquante. Tchirk, le mari sangsue, joué par Benoît Di Marco, n’hésite pas à en rajouter dans la pantomime d’un pantin habile qui s’active pour tirer les ficelles de ses manigances. La grossièreté ambiante est contrebalancée par la grâce des chansons aériennes (et ce n’est pas seulement parce que Clément Landais, le contrebassiste, passe la pièce, installé au-dessus d’une armoire). La voix cristalline de Salima Boutebal, qui compose une Shpritzi cocasse et pleine de fantaisie, s’accorde sur le timbre caverneux d’Anne Benoît, qui parvient à mettre, dans le rôle un peu passif de la mère, une drôlerie déplacée. Quant au patriarche (Bernard Ballet), même paralysé après ses crises cardiaques auxquels ont largement contribué son gendre et sa fille, il continue de mener la danse, armé de son saucisson qui nourrit ses inspirations sans jamais les rassasier.
La fille s’apelle Shpratzi et le beau fils c’est Tcharkes.