Le Prince travesti, amour et politique
Dans Le Prince Travesti, pièce rarement montée, Marivaux tisse une histoire où amour, politique et argent sont indissociables. Dès l’ouverture du rideau, le regard est happé par l’escalier monumental qui occupe la moitié de la scène et se perd dans les cintres. La toile sombre du fond laisse entrevoir l’entrée arrondie d’une cour de château. Dans la lumière froide et bleutée créée par Joël Hourbeigt, la scénographie de Damien Caille-Perret ne s’embarrasse guère de fioritures. le décor se limite à deux canapés et un fauteuil noir. Le seul espace chaleureux et habité de ce palais est un bric à brac de photos et d’objets personnels posés sur un piano.
Un illustre aventurier
Le prince de Léon se fait passer pour un aventurier nommé Lélio afin d’explorer le monde, apprendre à gouverner, connaître la nature humaine et éventuellement trouver sa future épouse. Sur sa route, il a sauvé héroïquement d’une attaque de brigands Hortense, une jeune princesse alors mariée – fort mal –, et qui deviendra veuve peu de temps après. Plus tard, il s’engage comme mercenaire dans l’armée de la princesse de Barcelone, qui ignore sa véritable identité, et remporte une victoire décisive. Il devient le favori de la Princesse qui lui offre son coeur et la tête du gouvernement. Mais Lélio retrouve à cette Cour Hortense, qui est l’amie et la confidente de la Princesse, laquelle ignore que Hortense et Lélio s’aiment secrètement depuis leur rocambolesque rencontre. La princesse de Barcelone, hésitant à déclarer sa flamme directement à Lélio, charge Hortense, qui est aussi sa parente, de la commission…
La pièce est censée se passer en l’Espagne du12ème siècle au moment de la guerre entre l’Aragon et la Castille… Mais c’est surtout la France de la Régence qui nous est donnée à voir : période d’entre-deux où les valeurs de l’Ancien Régime battent de l’aile. La mise en scène d’Yves Beaunesne décale encore le regard par des costumes (magnifique travail de Jean-Daniel Vuillermoz) qui allient la modernité des formes en se rapprochant de la mode des années 30 à des couleurs et des matières qui évoquent le XVIIIème siècle. La musique de Camille Rocailleux joue aussi sur la proximité des époques par la présence de chansons populaires en italien et des musiques de facture plus classique. Dans les labyrinthes du palais, mais aussi dans ceux des cœurs et des esprits, les bons mots s’allient du bonheur du chant.
« Vous êtes vieux et moi je suis Arlequin… »
Le Prince Travesti, c’est aussi une histoire d’affrontements entre les générations. L’ancienne génération représentée par Frédéric, ministre de la Princesse se trouve face à trois duos de jeunes gens qui semblent livrés à la fantaisie du moment, ignorant les règles de la bienséance et réinventant le jeu politique. Les histoires d’amour s’enchevêtrent, les négociations internationales sont basées sur des magouilles qui se déroulent du plus haut au plus bas de l’échelle sociale.Princes, Princesse, valetaille, chacun triche sur son identité. À la cour de la Princesse de Barcelone, les murs ont des oreilles. Dans les couloirs règne la corruption alors que les jeux de pouvoirs gangrènent toutes les relations humaines. Chaque parole, chaque situation dévoile les roueries, les mensonges,les non-dits et empoisonnent les rapports. Confrontés à des choix qui marquent le passage à l’âge adulte, les jeunes gens perçoivent confusément ces jeux de dupes qu’ils essaient de mettre à distance en essayant de préserver par une forme de naïveté, la part d’enfance qui leur reste.
La direction d’acteurs rigoureuse et impeccable, toute en tension, ne se relâche jamais. Chaque enjeu dramaturgique est pris en compte et s’associe à un jeu physique d’une liberté totale. Jean-Claude Drouot incarne à lui seul la vieille génération qui s’accroche à la moindre parcelle de pouvoir. Économe de mouvements, droit comme un I, sa voix impérieuse et son charisme impose un Frédéric, ministre de la Princesse, comme le pivot central d’un pouvoir en perte de vitesse. Face à lui, trois duos de jeunes gens, aux jeux à la fois complémentaires et opposés tentent d’imposer d’autres visions du pouvoir. Ambitieux, intrépides, ils représentent toutes les possibilités futures de la jeune génération du haut en bas de l’échelle sociale. À la fois chanteurs et comédiens, Marine Sylf (Princesse de Barcelone), Elsa Guedj (Hortense), Nicolas Avinée (Prince de Leon/ Lelio) et Pierre Ostoya-Magnin (Prince de Castille) présentent des alternatives (pas forcément intègres) du pouvoir proposées par la jeune génération. Johanna Bonnet et Thomas Condemine magnifique couple de valets insolents tentent de s’insérer dans les interstices du pouvoir et d’en grapiller quelques parcelles. Portée par des acteurs imaginatifs et débordants de créativité, la mise en scène éblouissante de Yves Beaunesne donne à voir et à entendre toutes les nuances d’un texte d’une grande complexité qui marie humour et coups tordus.
Le Prince travesti
De Marivaux
Mise en scène : Yves Beaunesne
Avec Marine Sylf, Elsa Guedj, Nicolas Avinée, Jean-Claude Drouot, Thomas Condemine, Johanna Bonnet, Pierre Ostoya-Magnin et Valentin Lambert
Dramaturgie : Marion Bernède
Assistanat à la mise en scène : Marie Clavaguera-Pratx et Théophyle Guilhem-Guéry
Scénographie : Damien Caille-Perret
Lumières : Joël Hourbeigt
Composition musicale : Camille Rocailleux
Costumes : Jean-Daniel Vuillermoz
Maquillages : Kuno Schlegelmilch
Durée : 2H20
Crédit photos, Guy Delahaye
Vu au Théâtre 71 Scène Nationale à Malakoff
Tournée en IDF
Du 6 au 10 février 2019 Théâtre Montansier -Versailles
Tournée en régions
26 février 2019 Scène Nationale 61 à Alençon
21 mars 2019 Théâtre Jacques Coeur de Lattes
28 et 29 mars 2019 Grand Théâtre de Calais
4 avril 2019 Maison de la Culture Nevers Agglomération à Nevers
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