Théâtrorama

Poignard*

Poignard*

Nature de l’engagement, question du terrorisme, compromission, jeu politique, manipulation médiatique… Autant de thèmes brûlants que cette mise en scène aborde avec intelligence et poésie. Le spectacle parvient à détacher l’engagement de l’image qui lui colle à la peau comme une mauvaise série américaine. Le questionnement politique y est relié aux désirs intimes, et ses tenants et aboutissants sont beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît…

Poignard_5Les premiers tableaux de ce spectacle ne sont pas très rassurants. Du point de vue esthétique, s’entend. Des acteurs un peu gauches nous jouent la comédie mille fois vue de l’engagement politique. L’humour proclamé par des artifices voyants – le groupe décide de prendre le nom de « Club Mickey » et de se donner des noms de code renvoyant aux héros de Disney – ne parvient pas à décoller. Le sérieux semble coller aux basques des jeunes acteurs. On les sent un peu fébriles, pas très sûrs d’eux. Les montres tressautent sur les poignets des spectateurs, les mâchoires se tendent : va-t-on, pendant une heure et trente minutes assister à un « Fight Club » du pauvre ?

Mais les acteurs tiennent bon, et passés les premiers instants de doute, le spectacle prend toute sa dimension. À l’hystérie et au sérieux des jeunes révolutionnaires succèdent des contrepoints qui amènent réflexion, drôlerie et mélancolie. Et ces contre-points parviennent à changer notre regard sur ces jeunes gens. L’empathie et l’identification peuvent alors opérer et le discours pénétrer notre réflexion et notre ressenti.

Crever l’écran

Les jeunes révolutionnaires sont régulièrement en liaison skype avec un aîné qui a traversé d’autres combats. Il leur pose des questions qu’ils refusent de voir, il les renvoie à leur responsabilité et les interroge sur la véritable nature de leur engagement. Pourquoi décidez-vous de faire des actions terroristes ? Croyez-vous parler au nom de tous ? Ce vieil homme remet la politique dans son contexte historique, et les guide avec bienveillance. Il essaye de leur éviter de commettre l’irréparable. Les spectateurs l’écoutent aussi, renvoyés à eux-mêmes, à leurs idées toutes faites sur leurs actions comme sur celles des autres.

Tuer des stars, tuer des stars en séries, tuer des séries de stars, tuer la fascination commerciale, changer l’éthique du monde, crever l’écran. Ces jeunes gens veulent tuer ce qui en eux les fascine jusqu’à l’aveuglement. Ils ne voient pas que cette quête de célébrité les concerne également. Les terroristes après leurs actions n’ont-ils pas droit à leurs photos dans les journaux ?

Les stars de la pop visées par les attentats sont présentées de façon ridicule bien sûr. Mais relié à un questionnement politique cohérent ainsi qu’à la mise en lumière des motivations intimes, ce ridicule parvient lui aussi à devenir touchant. Il s’agit là d’un désir de mieux vivre comme de rendre fiers ses parents. Dans ce désir de célébrité, il s’agit aussi parfois d’amour fou. Il s’agit parfois d’obscénité. Toute l’humanité, ses errements, ses désirs, ses déviances volontaires et involontaires, ses fragilités d’enfant qui à peur du noir, tout est là. Enfants de la pop comme révolutionnaires partagent le même échec.

Mais le questionnement nous a atteint profondément et l’on peut repartir de plus belle sur des chemins sans doute plus éclairés. C’est un très beau spectacle, qui donne un coup de poignard dans notre cœur qui fait « pop » ; il réhabilite notre naïveté et notre fragilité. Les larmes peuvent même nous venir aux yeux à l’évocation des désirs fous de notre jeunesse. Et la mélancolie nous étreindre.

Poignard*
*Il faut parfois se servir d’un poignard pour se frayer un chemin
Texte Roberto Alvim
Traduction Angela Leite Lopez
Mise en scène Alexis Lameda-Waksmann
Avec Rachel André, Celia Catalifo, Majid Chikh-Milou, Eugène Durif, Adrien Gamba-Gontard, Claire Lemaire, Guillaume Perez, Benjamin Tholozan, Julien Urrutia
Ambiance sonore Mathias Lameda
Paroles de chanson Matthieu Devaux, Guillaume Perez, Benjamin Tholozan
Mise en musique des chansons Matthieu Devaux
Costumes Emmanuelle Belkadi
Lumières Florent Penide
Production Groupe M.I.A.O.U. (Mouvement d’interprétation artistique originale et utile)

Du 27 janvier au 14 février 2016 au Théâtre de Belleville

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  1. […] « C’est un très beau spectacle, qui donne un coup de poignard dans notre cœur qui fait « pop » ; il réhabilite notre naïveté et notre fragilité. Les larmes peuvent même nous venir aux yeux à l’évocation des désirs fous de notre jeunesse. Et la mélancolie nous étreindre ».- Dans Théâtrorama – […]

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