Qui est ce Peer Gynt aux rêves extravagants qui fascine et repousse tout en même temps ceux qui l’approchent ? Nul ne le sait vraiment car il s’en va, il revient, il jure et se querelle avec le premier venu. Est-il réellement l’acteur de ses aventures ou les invente-t-il au fur et à mesure pour embellir son existence et celle des autres ?
Peer Gynt, le personnage éponyme de la pièce de Henrik Ibsen serait-il victime d’une mère manipulatrice d’où sa tendance à la mythomanie ? Grand bien nous fasse, même si l’allusion à la psychanalyse peut y être notable comme dans les autres pièces d’Ibsen, la mise en scène de Christine Berg nous projette dans une odyssée foutraque en forme de voyage initiatique. Malgré les longueurs inévitables de cette pièce en cinq actes, le spectateur complice se trouve lancé cul par-dessus tête sur les traces d’un être qui n’est jamais là où on l’attend et qui fait de sa »folie » le moteur de sa quête identitaire.
À la suite de ses mauvais agissements, Peer Gynt est contraint de fuir son village, laissant sur place sa mère et la jolie Solveig. Il se lance dans une quête effrénée qui le conduit dans les montagnes où il rencontre, comme dans un rêve, le roi des Trolls dont il séduit la fille. On le retrouve vingt ans plus tard en Afrique, vivant dans la débauche, il se fait couronner roi des fous avant de revenir au pays natal, dans un âge avancé, pour rejoindre enfin Solveig qui l’a patiemment attendu…
Comme une loterie…
» Pas de perdant » est-il écrit au fronton de la baraque de foire qui sert de décor à la mise en scène de Christine Berg. Avec une ouverture en fond de scène qui marque les entrées et les sorties des personnages, le plateau ressemble à un chapiteau de cirque ou à une arène de corrida. Le spectacle s’ouvre sur une scène étrange où, sur un lit d’hôpital, un homme moribond est veillé par des clowns aux habits brillants, juchés sur des talons aiguilles. Christine Berg transforme cette pièce – qu’Ibsen qualifie lui-même de la plus folle qu’il ait écrite – en un conte qui oscille sans arrêt entre le fantasque et le délirant, où les personnages hésitent entre le grotesque et la réflexion philosophique, le rêve et la réalité, le clown et la commedia dell’arte.
Hurlant et vociférant, Antoine Philippot est un Peer Gynt bondissant qui change de costume à la vitesse de sa parole, comme autant de pelures de lui-même. Joyeux, pleurant et se plaignant, perdu parfois, Peer Gynt rejette le monde dans sa banalité . Il l’enrichit de rêve et de poésie, affirmant haut et fort que la seule valeur est d’être soi, même si ce qu’il appelle »soi » change tout le temps en fonction de ses rencontres. »Être (à) soi-même », dans le monde selon Peer ressemble à une loterie à laquelle on gagne peu et on perd beaucoup.
Le monde de Peer est un monde instable dans lequel évoluent des créatures fantasmatiques et où les rôles sont interchangeables, à l’instar du théâtre lui-même. Utilisant la transparence d’un rideau de tulle que l’on tire selon que les scènes se déroulent devant ou derrière, la mise en scène joue sur ce que l’on cache, que l’on devine ou que l’on dévoile.
Après avoir été emmené chez les Trolls, avoir chevauché le bouc légendaire, Peer revient chez lui, vêtu d’oripeaux et dansant avec la mort. La jolie Solveig l’a attendu patiemment et de toutes ses aventures, il ne reste qu’un petit tas de vêtements dont il s’est dépouillé sur le devant de la scène. En optant pour l’école buissonnière et en essayant un peu tous les chemins sans en choisir aucun, Peer Gynt a fini par courir devant lui-même. Se réclamant du diable, rappelant aussi Don Quichotte, sa quête sans fin ne peut s’épanouir que dans »le fantasque, l’extravagant, le délirant, le désir sans limite et l’imagination foisonnante ». Suivant la trame de cette odyssée extravagante avec beaucoup d’humour, Christine Berg nous conduit dans le monde féérique de Peer Gynt, nous tendant un miroir parfois à peine déformé de nos propres mésaventures.
[note_box]Peer Gynt
De Henrik Ibsen
Traduction : François Régnault
Mise en scène : Christine Berg
Scénographie & costumes : Pierre-André Weitz
Lumières : élie Roméro
Avec Moutafa Benaibout, Loïc Brabant, Céline Chéenne, Vanessa Fonte, Julien Lemoine, Martine Molard, Antoine Philippot, Stéphan Ramirez
Musiciens : Gabriel Philippot, Julien Lemoine
Durée : 2 h 10 [/note_box]
Rejoindre la Conversation →