Parade de la Lune Rouge – festival « le Temps de l’Arène »
Parade de la Lune Rouge – De spectacles en spectacles, Eric Sanjou s’affirme dans l’art de surprendre. Si les deux derniers festivals des Décousues avaient été ponctués par de belles farces, « la Perle de la Canebière » de Labiche et l’audacieuse – et polémique – mise en scène sado-maso d’un Courteline, cette année le directeur de la compagnie « l’Arène Théâtre » a proposé à son public une plongée dans la poésie, ancienne et contemporaine. Le contre-pied des années précédentes était risqué, mais le pari est réussi.
Rimbaud, Corbière, Laforgue, et beaucoup d’autres se succèdent dans un spectacle tout en sobriété. Une forme « cabaret », portée par la présence des comédiens, leur art de transmettre, d’ouvrir en eux des canaux par où passe la voix des poètes. La musique proposée par Philippe Gelda et Laurent Salgé porte ces voix, puis les relâche dans le vide, les rattrape au dernier moment. Elle nappe, elle bruite, elle entoure, elle se moque parfois… Elle participe activement à cette étrange danse. La tonalité générale de la scénographie et des costumes, rouge et mauve, offre à l’oeil des spectateurs la possibilité d’une plongée dans l’inconnu. En effet, ces couleurs, proches de l’obscurité, sont d’efficaces tremplins vers les trous noirs, les zones rétives à toute définition qui nous inquiètent et nous ravissent. Ces zones là qui nous constituent, ces gouffres effrayants dans lesquels naissent les étoiles, c’est cela que nous sommes invités à voir, si tant est bien sûr, que l’on accepte d’y plonger.
Une parade poétique
Et cela marche. Les spectateurs se laissent happer, surprendre. On dirait qu’ils ne dirigent plus rien de ce qui leur arrive. C’est « ça » qui parle en eux, guidé par les sons, les voix, les ouvertures de sens. Alors « ça » s’exprime, « ça » rit et « ça » pleure à des endroits inattendus. Les applaudissements fusent à leur propre rythme, comme détachés d’eux-mêmes.
Les farces précédentes proposaient une mécanique huilée, des pièges à rires et à émotions, une horlogerie d’autant plus hilarante qu’elle était bien visible et dans laquelle le metteur en scène glissait quelques subliminalités… Ici, c’est tout autre chose : la mécanique de la Parade est souterraine, poétique. Des bas-fonds explorés on s’envole vers des horizons cosmiques. Les correspondances fonctionnent à plein. L’ouvrier anglais côtoie le libertaire, l’anarchiste fusillé, le poète que l’on tue, et sans qui le monde n’a plus de sens. Ce sont eux, les poètes, qui nous portent secours lorsque la vulgarité nous écrase. C’est cela qui nous échappe, et à quoi l’on n’échappe pas, qui nous sauve et nous tue en même temps. On est pris à la gorge par cela, cette beauté simple, humaine. Le spectacle cueille l’âme, et l’emmène dans des endroits secrets que la poésie seule est capable d’entrevoir.
Parade de la Lune Rouge
Dramaturgie/mise en scène/scénographie : Eric Sanjou
Mises en musique : Philippe Gelda et Laurent Salgé
Interprétation : Christophe Champain, Thierry de Chaunac, Philippe Gelda, Frédéric Klein, Pol Tronco, Laurent Salgé, Eric Sanjou
Crédit photos : Katty Castellat
Le 11 novembre 2017 à 21h dans le cadre du festival « le Temps de l’Arène »
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