Pacamambo mis en scène par Joseph Olivennes
Elle dit Pacamambo, comme un eldorado qu’elle ignore encore. Et elle le répète, elle le chante parfois aussi, le fait résonner dans le huis clos qui l’accueille. Il y a trois mois, Julie a perdu sa grand-mère, Marie-Marie, autre mot qu’elle martèle depuis sans cesse, comme pour ne jamais le faire disparaître. Les semaines qui ont suivi sa mort, Julie en a fait son secret. Elle n’en dira rien, sauf si on la pousse à recréer son histoire. Une histoire d’enfant, à la fois merveilleuse et cruelle. Pacamambo, le conte initiatique de Wajdi Mouawad, dans lequel la mort a le visage de la lune, et où l’insupportable se terrasse par fragments de rêve.
Le monde de Julie se résume à très peu d’éléments : l’enfant se tient droite au-dessus d’un monticule de valises et de robes, son chien à ses pieds. On la croirait prête au départ, ou bien sur le quai d’un retour utopique. La paume soutenant fragilement son visage, la petite fille a l’air triste et dit « non » en réponse à toute question. Elle aurait l’âge des poupées et des jouets de bois, l’âge de se laisser innocemment bercer par les comptines de ses aînés, mais contre toute histoire à laquelle elle aurait droit, Julie se voit bientôt contrainte de raconter la sienne. Son histoire, Wajdi Mouawad l’emprunte à Romain Gary, au petit Momo et à sa « Vie devant soi », lui qui s’était enfermé avec le cadavre de sa grand-mère dans une cave. Comme Momo, Julie, dans Pacamambo, refuse la réalité, à moins qu’elle ne s’enferme dans sa réalité à elle pour mieux fuir celle des adultes. Elle a décidé de maquiller les épreuves trop douloureuses pour conserver le plus longtemps auprès d’elle « le souvenir, l’amour et l’amitié ».
Le monde de Julie se réduit à très peu d’êtres. Il y a ceux de chair, comme son chien Le Gros, allié de poids, truffe et pattes ancrées dans le réel, et le psychiatre au voile blanc qui attend que la page de Julie s’écrive, ce médecin « aux yeux de dinosaure » qu’elle préfèrerait renvoyer dans sa préhistoire. Et puis, il y a des apparitions, celles de la lune et de la mort, figures de passeurs d’un monde à l’autre, d’un âge à l’autre, auxquelles la petite fille règlerait volontiers leurs comptes en « leur cassant la gueule ». Enfin, il y a le fantôme de Marie-Marie et sa bouille toute ronde, la personne que Julie « aimait le plus au monde ». Marie-Marie et sa promesse de tout un pays dévoilé quand elle s’est éteinte, emportée par la lune. Sa grand-mère ne lui a rien laissé, sauf une parole mystérieuse et ses tiroirs de mémoire. Sauf son souffle enveloppant et ses yeux restés ouverts dans la mort.
Pacamambo ou la « réalité de biais »
Auprès du cadavre de sa grand-mère qu’elle refuse de quitter, Julie veille la mort elle-même et la met au défi, afin de pouvoir finalement l’attraper dans ses filets, c’est-à-dire l’accepter. De l’impensable à l’abnégation, elle trimballe des bagages vides de silence, qui se remplissent peu à peu d’expériences. Sous ciel clos – de la chambre de la grand-mère jusque dans une grotte sans image – et parfaitement immobile, Julie effectue néanmoins un long parcours initiatique qui reprend les rites liés à la mort tout en interrogeant sa représentation. Sa fable la conduit en effet à reproduire les rituels de la préparation ancestrale à la mise au tombeau – elle farde et parfume la défunte – tout en affirmant ne rien craindre de la mort à laquelle elle donne forme pour mieux l’abattre.
Le pays que Julie souhaite atteindre pour rejoindre sa grand-mère est, dit Wajdi Mouawad, « un pays où l’on n’arrive jamais », tout entier sculpté par le rêve et les rêves de ceux qui le dessinent et le nourrissent. C’est une terre imaginaire et littéraire, idéale, impossible. Pacamambo se réfléchit sur lui-même, avec son miroir tendu « entre les uns et les autres », à partir duquel tous se ressemblent. C’est le pays d’une carte indécise, « proche de l’Afrique précolombienne, dans le continent nord du tropique sud-japonais, près d’un désert de neige nommé Arabie », qui peut donc exister partout et surtout en chacun. C’est le pays de la trace qui ne s’efface jamais, pays du choix et de lumières vives, inventé par les précieux conteurs d’histoires pour transformer le chemin mythologique vers les Enfers en route vers l’apprentissage.
Sur la scène de Joseph Olivennes et de la compagnie Mipana, dont il s’agit du premier projet théâtral, le pays immuable entre en chacun des personnages par volées étincelantes de paillettes et de rythmes incantatoires. On y pénètre par l’esprit et par le sentiment inépuisable que l’autre, une fois parti, trouve une demeure inaltérable en soi. Le dernier tableau de la mort la symbolise ayant quitté ses habits de nuit pour ceux d’un printemps en fleurs. Par le truchement de l’art et du théâtre rendant possible la mise en abyme, Julie acceptant de recréer son histoire, acceptant le dire, permet de heurter le jeu des illusions et de trouver un refuge dans la permanence.
Pacamambo de Wajdi Mouawad
Mise en scène : Joseph Olivennes
Avec Pamina de Hauteclocque, Jock Maitland, Vianney Ledieu, Aloysia Delahaut et Rafaële Minnaert en alternance avec Anne Lefol
Crédit Photo : Tadzio / compagnie Mipana
Durée : 1h10
Au théâtre Essaïon jusqu’au 2 septembre les jeudis, vendredis et samedis à 19h30, puis du 10 septembre au 26 novembre 2016 tous les samedis à 17h30
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