Théâtrorama

Aller voir une pièce de Tchekhov, mise en scène par Éric Lacascade, c’est comme retrouver une famille avec ses codes, ses rires et ses engueulades.

Malgré ses récentes incursions chez Gorki ou Ibsen, Tchekhov reste, pour Lacascade, un des piliers de son univers théâtral. De « La mouette » à « Ivanov » en passant par « Platonov », il n’en finit pas d’en explorer les méandres tout en affinant d’une pièce à l’autre ses exigences de metteur en scène. Tchekhov avait écrit une première version de « Oncle Vania » intitulée « L’homme des bois ». Dans cette mise en scène, sous le titre unique de « Oncle Vania », Lacascade réunit pour la première fois les deux textes.

Ioulia est toute frémissante d’impatience en préparant la fête destinée à accueillir le retour du tyrannique professeur Sérébriakov et de sa jolie épouse Éléna. Malade, le professeur souhaite se retirer dans le domaine dont s’occupe avec peine Vania et sa nièce Sonia, fille d’un premier mariage du professeur. Vania et le Docteur Astrov tombent amoureux de la belle Élena qui a tous les charmes des filles de la ville…Ramassant toute l’action en un temps très court, la tension monte en ce début d’été étouffant.

Un microcosme étouffant
Avant même que les spectateurs ne soient installés et que la lumière ne s’éteigne, les acteurs ont déjà investi leurs personnages. Ils vont et viennent du plateau à la salle. Ils s’interpellent, rient, mesurent l’espace et installent peu à peu la table qui accueillera les invités. Les retardataires arrivent enfin par le fond de la salle et déjà fusent les commentaires désobligeants, les compliments et les sous-entendus accompagnés de jeux de regards destinés aux uns tout en s’adressant aux autres.

Chez Tchekhov, il ne se passe apparemment pas grand chose. Tout est réglé sur les entrées et les sorties, on parle et on boit beaucoup, on pleure parfois et tout se déroule dans un microcosme du quotidien organisé autour du rythme des saisons. On se réunit en s’ennuyant, en s’exaltant de temps à autre, une violence sous-jacente se met à l’œuvre et peut surgir des propos les plus anodins. On rêve aussi de partir, mais l’ambiance émolliente finit par avoir raison des rêves les plus fous, faute d’une action qui les mettrait en mouvement, alors on se résigne.

Sous l’apparente banalité des propos, d’instants sans événements en micro situations de paroxysme, une mécanique se met en marche. À la façon des mouvements d’horlogerie des bombes à retardement, elle finit par faire exploser les situations et les existences. Lacascade perçoit avec une finesse de plus en plus accrue les mouvements du texte. Il travaille sur des mouvements d’ensemble et en fait ressortir des duos, des trios ou souligne la solitude de tel personnage.

Il sait trouver les lignes de forces du texte et parvient à mettre à jour les réseaux souterrains des jeux de pouvoirs, des non-dits, ce qui se traduit par un discours à double adresse : le personnage parle à un interlocuteur précis tout en l’adressant par le regard, le geste ou la posture à quelqu’un d’autre situé parfois à l’opposé.

La subtilité de la mise en scène tient beaucoup à cette finesse dans la direction d’acteurs. Elle est basée sur un jeu organique dans les mouvements collectifs qui ne nie en rien l’affirmation des individualités et sur un univers scénographique qui se coule dans l’action avec précision.

Chaque mise en scène de Lacascade relève d’une organisation de chef de bande. Ce qui caractérise la bande en question c’est une fidélité à un groupe constant avec un esprit de troupe. D’une pièce à l’autre, le travail réunit à la fois des comédiens aux talents multiples et très engagés physiquement comme Jean Boissery, Alain d’Haeyer, Millaray Lobos-Garcia ou Arnaud Chéron, mais aussi des créateurs comme Emmanuel Clolus à la scénographie ou Philippe Berthomé à la lumière. Lacascade, dans son « Oncle Vania », met plus que jamais l’accent sur la « joyeuse mélancolie » qui, dit-on, caractérisait Tchekhov. Dans sa mise en scène toute en subtilité et en élégance, il y ajoute juste ce qu’il faut de folie pour en souligner la tension toujours extrême.

[note_box]Oncle Vania
De Anton Tchekhov
D’après Oncle Vania et l’Homme des bois
D’après la traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan
Adaptation & Mise en scène : Éric Lacascade
Scénographie : Emmanuel Clolus
Lumière : Philippe Berthomé
Avec : Jérôme Bidaux, Jean Boissery, Arnaud Chéron, Arnaud Churin ou Philippe Frécon, Alain d’Haeyer, Stéphane E.Jais, Ambre Kahan, Millaray Lobos-Garcia, Jean-Baptiste Malartre, Maud Rayer, Laure Werckmann[/note_box]

Vous pourriez aimer çà

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.



Pin It on Pinterest