Théâtrorama

L’album de Joann Sfar s’ouvre sur un constat implacable : « Chez les juifs, on n’aime pas trop les chiens. Un chien, ça vous mord, ça vous court après, ça aboie. Et ça fait tellement longtemps que les juifs se font mordre, courir après et aboyer dessus que, finalement, ils préfèrent les chats. » Sauf que rien ne va plus le jour où le chat du rabbin commet l’irréparable et se met à parler après s’être délecté d’un perroquet.

Lorsque le chat se contentait de mener sa vie de chat, il déambulait en compagnie de son maître, le rabbin, et de sa maîtresse, la fille du rabbin, les suivant à la trace partout où ils allaient, infiniment libre, le miaulement affectionné et caressant, mais aussi un peu taiseux et franchement insomniaque, « nocturne, imprévisible et profondément éthique ». Il aura suffi d’un crime aussi crapuleux que gourmet – la ripaille du plus babillard des emplumés – pour que le menu minet se transforme en un insatiable pipelet.

Et le blabla d’un chat bien décidé à passer sa Bar-Mitsva et à plonger pattes jointes dans les versets de la Torah promet de nombreuses péripéties, à faire valser toutes les souris autour de lui et à taquiner les plus fidèles serviteurs de la Loi. Narrateur principal de la bande dessinée originelle, le chat de Joann Sfar, mi-peinard, mi-persifleur, poursuit son petit bout de chemin initiatique. Mais avec des yeux aussi grands que ses babines sont bavardes et que son esprit est malicieux, son parcours de l’ignorance à la sagesse conduit surtout le monde qui grouille à ses côtés à s’interroger.

Le chant du chat philosophe
La scène de Sarah Marcuse ne modifie rien du texte de Sfar et éclate souvent les saynètes pour séparer les éléments de décors, à la façon de fenêtres ou de cases de bande dessinée. Elle devient surtout un espace polyphonique et sensoriel, où acrobaties, miaulements, complaintes, notes de musique et discours religieux s’élèvent aux doux parfums d’encens et de mets orientaux et épicés en train de mijoter, et à la lueur de quelques bougies.

La joyeuse troupe composée de quatre acteurs et de trois musiciens chantonne et gigote, s’amuse à réciter des passages du Talmud ou des vers de La Fontaine, et à transgresser quelques interdits sous le regard amusé et faussement naïf du mistigri de l’histoire, Xavier Loïra en frétillant félin déboussolé depuis que de vraies syllabes sortent du bout de son museau. C’est que tout sceptique et mécréant qu’il se prétend, c’est pourtant lui qui devra malgré lui endosser le rôle du maître et soutenir le rabbin alors plongé en plein doute théologique et rêvant à son tour de devenir chat à la place du chat.

Mais l’animal n’est peut-être pas celui que l’on croit ou celui qui en a l’apparence, et les mots du chat impliqueront maints questionnements. À la suite de Sfar, Sarah Marcuse place les bêtes du côté du dogmatisme religieux et de ceux qui manipulent les textes comme instruments de pouvoir : « Moi qui ai un nom juif, une grand-mère maternelle juive et un grand-père musulman, je suis touchée en plein cœur par le subtil mélange de judaïsme et d’Orient, la promiscuité fraternelle entre juifs et arabes, par la sagesse et l’impertinence qui débordent de cette œuvre. » Le chat dessiné avait déjà donné de la voix, sur d’autres planches et à travers un long métrage d’animation. Adapté une nouvelle fois, le conte initial devient ici une fable chorale nécessaire, une critique aussi tendre que subtile, menant à chercher la voie vers une sérénade collective.

Le Chat du rabbin, d’après Joann Sfar (éd. Dargaud)
Mise en scène de Sarah Marcuse
Avec Xavier Loïra, Jacques Maeder, Pascal Berney et Rachel Gordy / Mounya Boudiaf (à part. du 20 janvier) et les musiciens Marc Berman, Benjamin Vicq et Guillaume Lagger
Scénographie et costumes : Xénia Marcuse
Lumières : Julien Talpain
Musique : Marc Berman
Crédit photo: Dominique Valles

Au théâtre des Mathurins jusqu’au 15 mars 2015

 

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  1. Des articles aussi intéressants on n’en trouve rarement

    Clair de Baie / Répondre

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