Un monstre dès la naissance pour celle qu’on n’appellera plus que Mouna (la guenon). « Un bec de lièvre m’avait-il excisé de toute humanité? ». Seule en scène, Nawel Debbagi nous livre comme une confidence ce somptueux texte d’Ananda Devi qui s’inscrit dans le premier volet d’un triptyque autour de l’autre et du regard de l’autre.
Superstition et peur de la différence, il ne fait pas bon naître avec une infirmité visible dans certains pays. Dans le village de l’île Maurice où elle naît, Mouna a failli ne pas voir le jour très longtemps. Ses parents la considèrent comme une malédiction. Son bec de lièvre s’affiche comme le malheur au bord des lèvres. La faire disparaître, ses parents y pensent comme une solution qui reçoit l’assentiment du village tout entier. Mais pas facile de noyer un bébé (tout le monde n’a pas la chance d’avoir un frigo efficace chez lui). Mouna s’accroche à la vie malgré les coups, la haine et les humiliations de sa famille qui finit par l’abandonner dans un four à chaux. Privée d’amour maternel et rejetée du clan des humains, elle grandit comme une enfant sauvage sans lien au monde qui l’entoure. Elle trouvera un refuge de tendresse auprès de sa grand-mère qui la berce en lui racontant l’histoire merveilleuse du Prince Bahadour et de la Princesse Housna. Mouna boit ses mots, elle qui ne s’exprime que par un zozotement qui fait de ses phrases un sabir incompréhensible. Et pourtant Mouna, elle aussi, est une conteuse qui s’invente son univers et se réchauffe auprès de son seul ami, un chien qui lui adresse son premier regard de compassion.
Conte moderne
Le texte résonne dans une mise en espace harmonieuse qui joue sur le confinement intimiste qui condense l’univers de Mouna. Le four à chaux avec ses pierres blanches et son sol poudreux où se mêle le sable (une pensée émue pour ceux qui nettoient la scène après chaque représentation) d’un côté qui occupe une grande partie de la scène. Un espace de liberté, de l’autre, pour Mouna qui livre ses aventures en jouant avec les voiles posés avec application sur le sol. Elle s’en drape pour se protéger, se cacher, les transforme en lange comme un objet transitionnel. Et un espace d’enfermement mais aussi d’espoir cadré par une lumière crue où Mouna rentre maladroitement en interaction avec une de ses semblables qui la regarde enfin avec humanité. La lumière revêt une importance capitale pour celle qui reste dans l’ombre. Le jeu de lumières accompagne les bougies qui participent à créer une ambiance intimiste. Volute d’encens, création musicale aux sonorités indiennes qui nous plongent au cœur de l’histoire, la mise en scène de Dany Toubiana est un écrin ciselé pour ce trésor textuel d’Ananda Devi.
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Texte de Ananda Devi, adaptation Dany Toubiana
Mise en scène de Dany Toubiana, assistée de David Simon
Avec Nawel Debbagi
Jusqu’au 28 mai
Le jeudi et le vendredi à 20h30
Théâtre du temps
9, rue du Morvan
Réservations: 01 43 55 10 88
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Je n’ai pas vu le spectacle (j’habite en Australie) mais le thème du besoin d’appartenir n’a pas de frontières, ni dans le temps, ni dans l’espace. Il définit notre humanité, lui donne un sens et raconte aussi son histoire.
Merci
Un somptueux texte d’Ananda Devi remarquablement servi par Dany Toubiana.