Théâtrorama

Moi et François Mitterrand au théâtre des Bernardines

Moi et François Mitterrand au théâtre des BernardinesMoi et François Mitterrand – Quoi de plus normal pour un homme de lettres que d’adresser une pléiade de courriers au Président de la République ? Hervé Le Tellier, Oulipien sous la contrainte, toute littéraire, et épicurien du mot, s’amuse avec le système administratif pour contourner une théorie de l’absurde qui laisse l’inconnu se dépatouiller avec son équation.

Le livre méritait bien une pièce. Et Olivier Broche endosse naturellement les habits de l’auteur pour signer une interprétation délicieusement timbrée, qui affranchit le public du prêt-à-penser. Un one man show au pied de la lettre.

Moi et François Mitterrand, bien cordialement

Une carte postale envoyée comme une bouteille d’eau-de-vie vidée dans la foulée. L’ivresse de la gauche arrivée au pouvoir en 81, l’air du grand large d’Arcachon. Hervé écrit à François Mitterrand en 1983 pour le féliciter de son élection. Il n’attend pas particulièrement de réponse… Et pourtant. Il reçoit une lettre type du service de l’Elysée. Une réponse stéréotypée d’où Hervé peut percevoir le style sans égal de Mitterrand et qui va l’encourager à entamer une correspondance assidue. À chaque lettre envoyée avec ferveur, il reçoit le sempiternel même courrier qu’il lit entre les lignes pour en tirer, en cartomancien chevronné, une exégèse toute personnelle.

Il se met alors à raconter sa vie à ce nouveau meilleur ami, unit par un lien épistolaire solide. Ses peines de cœur avec Madeleine, ses problèmes de travail, et, bien sûr, sa vision de la société. François, imperturbable, répond. Et quand François Mitterrand laisse sa place à Jacques Chirac, Hervé, magnanime, décide de continuer sa correspondance, en s’adaptant aux changements de style du nouveau locataire de l’Elysée. Car si la forme reste identique, le fond est radicalement différent. Sa correspondance sous l’ère Sarkozy sera plus houleuse et perd de sa grandeur (proportionnelle à la taille du portrait) pour redevenir apaisée avec le retour d’un autre François en destinataire.

Variations épistolaires

Moi et François Mitterrand au théâtre des BernardinesLa pièce ressemble à une histoire drôle qui s’appuie sur un comique de répétition pour mieux faire ressortir l’absurde de la situation (la chute finale viendra-t-elle aux prochaines élections ?) La lettre type de l’Elysée sera d’ailleurs soigneusement montrée au rétroprojecteur. Un procédé de prof qui facilite la lecture et l’analyse capillotractée pour ses étudiants. Une preuve écrite mise sous le nez d’un public moqueur. Le spectateur peut décrypter en filigrane une satire du système bureaucratique qui a bien du mal à tendre l’oreille vers la base. Derrière ces courriers se cache une solitude profonde qui déplace les champs de la psychanalyse pour remplacer l’ami imaginaire par une illustre amitié.

Personnage borderline qui réinterprète la réalité à partir de quelques lettres façonnant les chapitres de son existence, Hervé raconte son histoire dans l’Histoire comme une légende personnelle savamment entretenue. Olivier Broche, ancien Deschiens, excelle dans l’art d’incarner un homme des plus banals s’inventant une vie qui sort de l’ordinaire. Son entrée en scène, dans un bureau présidentiel où résonne un Te Deum officiel, ressemblerait presque à un numéro d’imitation. L’intervention se transforme en profession de foi. L’admiration d’Hervé pour le Grand Homme devient une religion d’Etat qui bascule dans un pathétique humoristique décapant.

La mise en scène millimétrée de Benjamin Guillard apporte une résonnance supplémentaire au texte d’Hervé Le Tellier. Les lettres deviennent des ricochets qui se répondent en écho et font des ronds dans l’eau chez les ronds de cuir. Moi et François Mitterrand donne envie de se munir de sa plus belle plume pour écrire au Président et recevoir une réponse qui commencera une correspondance qui ne restera pas, à coup sûr, lettre morte.

Moi et François Mitterrand
Texte Hervé Le Tellier publié aux éditions Jean-Claude Lattès
Mise en scène Benjamin Guillard
Avec Olivier Broche
Décor Jean Haas assisté de Juliette Azémar
Lumières Olivier Oudiou
Direction technique Denis Melchers
Dramaturgie Marie Duret-Pujol
Assistante Kenza Berrada
Musique Antoine Sahler
Durée : 1h30
Crédit photo : Aglaé Bory / Raphaël Arnaud

Vu au théâtre des Bernardines (création 2016)

En tournée

À partir du 25 janvier à la Pépinière Théâtre

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