L’établi – Mise en scène : Olivier Mellor
Pour fêter ses 25 ans d’existence la Compagnie du Berger, dans une mise en scène d’Olivier Mellor, joue L’établi adapté d’un roman du sociologue et écrivain Robert Linhart, paru en 1978 aux Éditions de Minuit.
Suivre la cadence, ne pas ralentir le mouvement de la chaîne. Mouloud, montage de 148 portières de voitures dans la journée. Dès l’entrée, un fond sonore omniprésent de bruits de machines. Son assourdissant de ferrailles qui tombent brutalement sur un sol métallique, va et vient d’hommes pressés, obligés de crier pour se faire entendre dans la lumière crépusculaire d’un lieu enfumé…Nous sommes dans les années 60, dans un des ateliers de montage de l’Usine Citroën de la Porte de Choisy en région parisienne. Un travail à la chaîne qui ne s’arrête quasiment jamais et où se relaient des ouvriers de la France entière et des étrangers engagés au Maghreb, en Espagne, en Italie ou en Yougoslavie par des recruteurs tout puissants.
Se souvenir du bruit même en dormant…
Les établis désignaient les centaines de militants intellectuels, souvent des étudiants, qui, à partir de 1967, « s’établissaient » au sein des usines pour travailler aux côtés des ouvriers. Dans le roman de Linhart, l’établi, c’est aussi la table de travail bricolée où un vieil ouvrier retouche avec minutie les portières irrégulières ou bosselées avant qu’elles ne passent au montage sur la chaîne. Olivier Mellor organise sa mise en scène entre ces deux pôles pour faire état d’une période révolue, hésitante et marquée par les luttes de mai 68. Tout parle ici du rapport de l’homme et de la machine, du rapport que les hommes entretiennent entre eux par l’intermédiaire des objets et que Marx appelait » les rapports de production ».
Organiser la classe ouvrière
L’histoire est racontée à la première personne par un jeune étudiant qui se fait engager comme OS 2 à l’usine Citroën. Visage bien rasé, portant presque élégamment le bleu de travail, le jeune établi sait déjà « qu’il n’est pas entré chez Citroën pour fabriquer des voitures, mais pour faire du travail d’organisation dans la classe ouvrière ». Maladroit de ses mains et ne comprenant pas toujours les consignes, il est le narrateur qui organise le récit, analyse les situations, les commente et les met en miroir.
Face à lui des ouvriers précis, rapides dans leurs gestes, forts en gueule et détenant les codes d’une classe à laquelle, malgré tous ses efforts, il n’appartiendra jamais. Le combat politique et l’organisation d’une grève musclée rapprochent l’établi et les ouvriers dans une forme de fraternité qui abolit les distances. Loin du vacarme de la chaîne, dans l’amour du travail bien fait, la lenteur de Simon assis à son établi, suggère une époque ancienne, celle d’avant les cadences infernales. Ce seul poste qui échappe à l’automatisation est aussi le premier à être touché par une rationalisation, qui indique la bascule d’une époque.
L’organisation du récit, du plateau et du jeu fait écho à l’organisation du travail poussée jusqu’à la rationalisation de l’utilisation des moyens et des hommes.
Une choralité inventive
La construction du roman de Linhart et l’idéologie qu’il véhicule pourraient paraître désuètes à la lumière de notre époque. Axant le jeu des acteurs sur une choralité précise et inventive, devenue sa marque de fabrique, Olivier Mellor – toujours accompagné d’une équipe de comédiens fidèle – refait une lecture de l’héritage de 68 pour en considérer l’impact dans notre époque.
Marqué par des rythmes différents de la parole, au-delà des corps qui vont et viennent, sur le plateau tout le mouvement recrée l’espace de l’usine y compris les espaces qui échappent au regard du public, comme les bureaux de la direction où s’exerce un pouvoir occulte et tout puissant. Projection de photos, documents d’époque, machineries multiples d’où surgissent des étincelles, des odeurs ou de la fumée, musique en live… Au centre du plateau, une façade constituée de plusieurs panneaux de métal figure l’usine. S’abattant l’un après l’autre à intervalles réguliers dans un fracas d’enfer, ils marquent la mesure du temps (le temps du travail et celui qui passe), évoquent aussi les pages d’un livre que l’on feuillette. La chaîne existe de façon métaphorique à travers les gestes répétitifs et précis des acteurs. Individuellement ou ensemble, ils racontent des parcours de vies : l’exil, la famille, le racisme et l’injustice des petits chefs, les rendements tactiques, les renvois au pays sans indemnités en cas de maladie, la conscience de classe et les rêves de révolution…Et pour tous, les vies solitaires qui laissent « la tête là-bas et le corps à disposition ici pour Citroën ». Dans le creuset d’émotions suscité par Mai 68 et la décennie qui va suivre sont nés beaucoup d’espoirs dont certains sont déçus aujourd’hui. Olivier Mellor et ses acolytes dans une épopée généreuse, rapprochent les époques et les cultures, font renaître, avec un zeste de nostalgie la dualité des sentiments de ce qui fut appelé la lutte des classes.
L’établi
D’après le roman de Robert Linhart (Ed.de Minuit)
Adaptation : Marie Laure Boggio, Olivier Mellor
Mise en scène : Olivier Mellor
Avec Aurélien Ambach-Albertini, Mahrane Ben Haj Khalifa, François Decayeux, Hugues Delamarlière,
Romain Dubuis, Éric Hémon, Séverin “Toskano” Jeanniard, Olivier Mellor, Stephen Szekely, Vadim Vernay
et la voix de Robert Linhart
Vidéo : Ludo Leleu, Mickaël Titrent
Crédit photos : Ludo Leleu
Costumes : Marie Laure Boggio, Caroline Corme
Scénographie : Olivier Mellor, François Decayeux, Séverin “Toskano” Jeanniard
avec le concours du Collectif La Courte Echelle
Musique originale & musiciens : Séverin “Toskano” Jeanniard, Romain Dubuis, Vadim Vernay, Olivier Mellor
Durée : 1h45
Jusqu’au 1er juillet au Théâtre de l’Épée de Bois
Du 6 au 29 juillet 2018 au Festival d’Avignon
Présence pasteur
Rejoindre la Conversation →