Quand se détache-t-on de l’enfance ?
Les Violette –qui a également été un film produit en 2008– est une pièce schizophrène et dérangeante sur la façon dont un enfant construit son récit intérieur lorsqu’il est ballotté par des évènements tragiques ou des secrets de familles.
Devenue jeune femme, Violette décide pour se reconstruire de revenir à son enfance, là où tout a commencé. Elle prend alors en charge tout le récit et les personnages qui le compose : elle-même, sa mère et son oncle. Si l’intention est belle, la mise en scène peine à décoller de son propos original, celui de faire le récit par des adultes à travers des jeux d’enfants. Dommage.
Une dînette entre amis
Dés le début, les trois jeunes comédiennes prennent avec énergie et sincérité les rôles qui seront les leurs tout au long de la pièce. Une première chorégraphie – qui ressemble à un générique de série télévisée – en témoigne. La joie affichée de l’enfance y laisse poindre un curieux malaise : elle ne peut pas être vraie, car elle trop volontaire. Elle correspond trop aux clichés qui entourent cette période de la vie. En effet, loin du paradis perdu que l’on nous présente souvent, l’enfance est aussi l’endroit de l’hyper-sensibilité au monde ainsi que de l’extrême vulnérabilité aux chocs de la vie. C’est aussi l’endroit de la découverte – parfois effrayante – de la réalité de notre condition d’humain. Violette découvre ou redécouvre ainsi l’activisme politique, les secrets de famille, le sexe, la mort…
Houdia Ponty choisit de faire jouer ses comédiennes dans un décor de dînette. Ainsi, c’est une jeune femme qui rejoue une petite fille qui rejoue elle-même tous les personnages de son enfance passée. Le malaise vient du fait que les jeunes adultes jouent dans un décor trop petit pour elles. L’espace est régressif, et les moues de l’enfance sur ces visages adultes communiquent le malaise qui peut nous prendre à la vue de quelqu’un qui décolle de sa réalité. La schizophrénie, la maladie mentale sonnent alors comme autant de rappels de nos fragiles équilibres intérieurs. De ce point de vue, le choix de mise en scène est vraiment intéressant.
Le problème vient du fait que le postulat de départ n’est jamais dépassé, ni réellement pris en charge. Les trois jeunes femmes discutent, inter-changent leurs rôles, mais leur jeu tourne en rond. Le décor ne sert pas vraiment d’appui au jeu, et la pièce se perd en discussions. Le décor ne change pas, la table centrale reste centrale, et l’on se retrouve finalement dans une curieuse conversation de salon.
Mais une idée – aussi forte soit-elle – ne peut suffire à soutenir un propos dans son ensemble si elle n’est pas développée et pensée dans la durée. Parce qu’alors, tout est traité de manière égale et finit par donner une impression de platitude. C’est bien dommage car le propos de la metteure en scène n’est pas dénué d’intérêt, loin de là. L’intelligence du propos doit-il se prolonger dans une véritable mise en question de la façon d’aborder le sujet dans l’interprétation ? Au milieu d’une scénographie très forte et affirmée, les codes de jeu du théâtre naturaliste suffisent-ils à donner son souffle à la pièce ? Peut-on se contenter – au milieu d’un décor aussi intéressant – de discuter autour d’une table ? Seules les jeunes artistes ont la réponse bien entendu.
Au-delà de ces réserves, on retiendra cependant l’engagement de ces talentueuses comédiennes, ainsi que leur façon de nous transmettre des émotions subtiles, intelligentes et dérangeantes. Affaire à suivre.
Auteure : Emmanuelle Destremau
Avec : Marie Duchâteau, Sabine Moreau, Laure Millet
Mise en scène : Houdia Ponty
À La Comédie Nation (Paris), les jeudi et samedi à 21h, jusqu’au 28 novembre
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