La loi du plus fort + Les pauvres sont tous les mêmes
Marielle Pinsard – reçue au Tarmac pour ses deux nouvelles mises en scène – est une artiste qui aime surprendre et qui ne se laisse jamais coller une esthétique à la peau. Du baroque foutraque de sa dernière création – En quoi faisons nous compagnie avec le menhir dans les landes – , il reste des silhouettes féminines au couteau soutenues par des envolées musicales lyriques et hilarantes. De cette épure, Marielle Pinsard tente de tirer le secret de la composition du béton qui constitue les murs de nos « bunkers mentaux ».
La « loi du plus fort », mais qu’est-ce que cette loi là ? Celle de la nature, d’après Darwin ? Ou celle, plus subtile, invisible, et rétive à toute rationalisation qui gouverne notre rapport au monde ? Pour y répondre, l’écriture de Marielle Pinsard nous plonge dans les affres mentales d’une promeneuse parisienne perdue dans la jungle des villes. Une petite souris de laboratoire nous expose ses cheminements qui la conduisent toujours au rayon « chocolat » du Monoprix, et qui l’amènent systématiquement à un face-à-face de papier avec l’image d’un Noir hilare tout droit sorti de l’époque coloniale. De ce face-à-face naît une tentative de comprendre, de rationnaliser, de dialoguer avec soi-même. Pourquoi donc en reviens-je toujours au même point ? Nous assistons aux errances analytiques de la jeune femme et à ses monologues intérieurs. Le « tu » qu’elle dirige au public comme une question semble bien être la manifestation d’un dialogue avec elle-même, dialogue qui nous renvoie à ceux que nous nous tenons quotidiennement, et qui, s’ils étaient surpris par un tiers, nous feraient passer à ses yeux pour un quasi dément.
La question posée ne voit jamais de réponse et c’est là toute la grâce de ce spectacle. Porté par une comédienne remarquable – Piera Honneger –, le texte ravit par ses errances. Et les vérités que la jeune femme s’assène, les conclusions philosophiques qu’elle tire de moments pourtant banals se voient portées en musique dans de grands élans lyriques qui rencontrent un mur en plein vol. Le musicien approuve et appuie systématiquement la jeune femme, et c’est très drôle.
La comédienne est parfaite pour le rôle, et ses airs de Bavaroise de gauche adepte du bio enflamment l’imagination. Elle nous prend par la main et nous fait visiter ses labyrinthes mentaux, ses impasses, ses ronds-points, ses feux de signalisation. On en revient toujours au même point oui, malgré tous nos efforts. Mais avant de rejoindre ce point qui nous attend avec elle au rayon « chocolat », on aura fait une bien belle promenade.
Les pauvres sont tous les mêmes ?
Sur scène, lui succèdent trois femmes qui se retrouvent en avance à un cours de fitness. Entre deux échauffements, jambes en l’air et autres images involontairement sexuelles (aux yeux de leurs personnages), elles se livrent entre elles à un exercice de parole « libre ». « Libre », c’est à dire qu’elles donnent libre cours à leurs pensées les plus faciles, qu’elles ouvrent la bonde aux égouts de l’imaginaire et aux constructions mentales automatiques. Les pauvres sont tous les mêmes. Ils devraient faire un effort pour être moins pauvres. Ils nous agacent à la fin.
Mais ces pensées ne nous concernent-elles pas tous ? La tentative de ces trois femmes de se construire avec le langage des murailles de protection face à la violence du monde nous ressemble beaucoup… Et si cette construction doit passer par des facilités et des raccourcis, et bien soit… Notre tranquillité en dépend et elle vaut bien quelques petits sacrifices.
Marielle Pinsard tente de nous mettre face à notre capacité commune d’aveuglement et à notre inconscience à la fois joyeuse et inquiète. Mais parfois ces femmes vont tellement loin dans leur propos qu’on peut en toute sincérité ne pas s’y reconnaître. Commence alors pour le spectateur un autre cheminement, qui consiste à se demander de quelle matière est composée son propre discours. Il arrive que les paroles de dénigrement prennent des atours de gauche et des constructions langagières subtiles… La violence n’en est que plus terrible car on peut y voir le masque de l’hypocrisie. Double peine.
Cependant, à la fin du spectacle, par la magie d’une danse drôle et décalée sur fond de musique techno pour salles de muscu, nous nous retrouvons pour de bon une communauté de destin avec ces trois sympathiques pimbêches. Le monde s’écroule, mais nous continuons à courir derrière notre petit bonheur. Nous continuons coûte que coûte à construire une image avantageuse de nous mêmes sur les réseaux sociaux. Nous prenons des selfies sur fond d’ouragan.
La loi du plus fort
Texte et mise en espace : Marielle Pinsard
Avec : Piera Honneger
Création et interprétation musicale : Marcin De Morsier
Les pauvres sont tous les mêmes
Texte et mise en espace : Marielle Pinsard
Avec Catherine Büchi, Julie Cloux, Tiphanie Bovay-Klameth
Administration : Cristina Martinoni
Jusqu’au 30 janvier au Tarmac
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