Les Hallucinés au Nez rouge
Ils vivent à même le bitume, et gardent la force d’attendre un miracle. Deux sans-abris survivent aux abords d’un supermarché et rêvent en chansons d’un ailleurs fait d’amour et de paillettes.
Une pièce de plus sur la détresse du monde ? Pas du tout ! Entre la bande-son des promotions qui résonne sur le parking du supermarché où ils vivent et l’indifférence des passants, l’impeccable duo interprète une valse de saynètes, en chantant et dansant. Les standards de la variété et de la comédie musicale prennent vie dans ce conte des temps modernes plein d’énergie. Dans l’hexagone, la comédie musicale oscille entre deux pôles : les tentatives où l’on souhaite « faire comme à Broadway » et comme l’imitation n’est pas bonne conseillère, ça sonne faux. Il y aussi les importations mal traduites de noms de spectacles devenues des marques. Les déclinaisons, comme pour les parfums dont on exploite l’idée jusqu’à plus soif, offrent des produits trop calibrés, un peu cliniques, vendus à des prix délirants. Entre les deux, notons une création d’exception, comme « Mistinguett, reine des années folles », scintillante et jazzy, où Carmen Maria Vega emportait tout sur son passage.
Une vigueur canaille
Avec Les Hallucinés, Marielle Beaulieu et Nicolas Godedroy, tracent leur sillon dans une autre direction, donc là où il faut. Leur culture de travail est celle du cabaret et du music-hall, avec cette proximité quasi sensorielle avec le public. Leur show joue du pittoresque, au sens de coloré, brillant, plein de relief comme du picaresque, car il met en scène des héros qui vivent dans la misère. Les deux têtes d’affiche font des numéros, ils font leur numéro, et personne ne songerait à résister à cette grâce évidente et sexy. La technique est là, le répertoire est bien choisi et la musique de Roland Romanelli ponctue le propos. La fièvre et l’inspiration, leur capacité à enjôler donnent au projet ce qu’il faut de vigueur canaille. Ils ne reculent devant rien et passent tous deux de Dalida à Madonna, sans oublier Judy Garland ou Rita Hayworth avec un charme confondant, se jouant des genres. Ils rendent même un bref hommage aux dialoguistes d’une comédie culte de l’équipe du Splendid, ce que nous vous laisserons découvrir.
Culture cabaret
Le lien de ces Hallucinés avec les cabarets berlinois de l’Allemagne pré-hitlérienne ou Le Chat noir, exporté du Quartier Latin à Montmartre, est évident : tous ont pour mérite de combattre l’uniformisation culturelle. Le spectacle prend d’ailleurs vie sur la scène d’une péniche-théâtre, le Nez Rouge, amarrée Quai de l’Oise. Il manque bien sûr quelques mètres carrés au duo de choc pour danser à son aise, mais gageons qu’ils les trouveront très vite. Le livret est composé autour d’une belle idée, celle de la vie rêvée d’un couple de marginalisés. Dans ce domaine, rien d’impossible, Bob Fosse et Fred Ebb, créateurs du bijou Chicago, ont su nous ouvrir les portes d’une prison pour romancer la ville canaille. C’est peut-être ce qui manque un peu ici, un propos, un argument plus subversif, pour ajouter un poil de malice aux scènes jouées.
Les Hallucinés
Texte : Christian Faviez
Mise en scène : Paola Scotton
Avec Marielle Beaulieu et Nicolas Godefroy
Musique originale : Roland Romanelli
Crédit Photos : Paolo Provenzano
Au Nez rouge, mardi 29 mai et mardi 5 juin, à 19H30
Rejoindre la Conversation →