Comédienne, auteure et metteure en scène, depuis plus de quinze ans, Carole Thibaut confronte sa pratique artistique aux récits des « vrais » gens, toutes origines culturelles et sociales confondues, tout en militant pour des causes diverses.
L’enfant- Drame rural est né d’une résidence d’écriture dans un petit village médiéval de l’Isère. Plantant un bureau d’écrivaine publique dans l’ancienne poste du village, sillonnant les routes et les chemins, elle a collecté des récits de vies, des paroles de femmes et ces histoires qui tissent des liens dans la vie d’un village. La fiction théâtrale est née de cette confrontation avec le réel. Elle est le premier volet d’un projet plus vaste autour des « communautés – territoires ».
Choisissant de faire de sa pièce un « drame rural » , Carole Thibaut lui donne un parfum d’autrefois dans un genre littéraire qui a fait les beaux jours de la littérature et du cinéma de Synge à Claude Chabrol.
Le choix est astucieux et donne une certaine assise à ce récit, tout en faisant preuve de cette subversion qui l’inscrit résolument dans l’espace de notre monde contemporain, cynique et égoïste.
À la ferme des Platanes, celle que l’on surnomme l’Idiote dans le village découvre devant sa porte un bébé abandonné. Elle se souvient de celui qu’on lui a arraché dès sa naissance et veut le garder. Son père et le maire du village parviennent à lui prendre le bébé pour le confier à des personnes capables de s’en occuper. Passant de mains en mains pour finalement revenir entre celles de l’Idiote, l’enfant, dont on remarque qu’il ne pleure pas et dont personne ne veut s’occuper, devient malgré lui, un objet de scandale. Son parcours, d’une maison à l’autre, d’un milieu social à l’autre, agit comme le révélateur des douleurs et des non-dits. Nourri par les rumeurs, ressurgit le passé qui, par ricochets successifs conduira à l’acte transgressif qui condamnera tout le village.
La parole des silencieux
« La fable de cette pièce, dit Carole Thibaut, s’inspire de l’épisode de Sodome dans la Bible et le Coran qui met l’accent (…), non pas, comme on le croit souvent, sur l’homosexualité à laquelle se seraient livrés les habitants, mais sur le manquement aux règles d’hospitalité et d’accueil de l’étranger ». Faisant de ce récit biblique la métaphore centrale de sa pièce, Carole Thibaut met l’accent sur l’immobilisme du village, où chacun tout en vivant sous le regard des autres, maintient enfouis, les secrets les plus sordides. La suspicion entache toute relation sociale, faisant glisser l’intimité des couples et des familles de la sphère privée à la place de ce village où les enfants ne rient pas, ne jouent pas puisqu’ils en sont absents et indésirables.
L’écriture de Carole Thibaut est belle, l’ellipse lui aurait fait gagner en mystère et en force. Un petit grain de folie, une certaine prise de risques auraient peut-être rompu avec cette fin en forme de happy end, trop explicative et une mise en scène linéaire et un peu répétitive qui ne ménage plus de surprises après plus de deux heures de spectacle.
Pourtant ce point de vue restrictif n’empêche pas une direction d’acteurs assumée, qui rend compte d’un beau travail sur la choralité et les duos. D’une œuvre à l’autre, le travail « d’ethnologue théâtral » de Carole Thibaut décortique pas à pas les mécanismes sociaux.
Dans ce premier volet sur les « communautés territoires », en décodant les rites et les histoires d’un village apparemment tranquille, elle met à jour les déviances et les scléroses qui font le lit des plus grandes monstruosités ; celles qui pervertissent les règles et les valeurs sociales avec l’accord tacite ou affirmé du plus grand nombre.
[note_box]L’enfant – Drame rural
Texte et Mise en scène : Carole Thibaut
Création technique : Carole Thibaut et le Collectif In Vivo
Avec Marion Barché, Thierry Bosc, Eddie Chignara, Sophie Daull, Emmanuelle Grangé, Donatien Guillot, Fanny Santer, Boris Terral.
Crédit photo : Guillaume Lavie[/note_box]
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