Molière sur les routes
L’École des femmes de Molière – Conçus comme une fabrique artistique de référence et de proximité, Les Tréteaux de France, centre dramatique national itinérant, s’arrêtent le temps d’un festival dans ce joli lieu plein de charme qu’est le Théâtre de l’Épée de Bois à la Cartoucherie de Vincennes. Associés au Théâtre National Populaire de Villeurbanne, ils présentent ici L’École des femmes de Molière créée en 2013, dans une mise en scène de Christian Schiaretti.
Une scénographie minimale sur tréteaux, un décor composé de panneaux de carton fort qui s’ouvrent, peints de dessins enfantins, des lanternes à la lumière franche disposées sur le sol autour la scène éclairent chaque action sans fioritures. C’est un théâtre léger, fait pour voyager. Ici la mise en scène comme le jeu des acteurs s’appuient essentiellement sur le texte et rendent compte de la pérennité du théâtre de Molière avec sa versification, ses coupes et la musicalité d’une langue en mouvement.
Arnolphe est un homme d’âge mûr qui aimerait jouir du bonheur conjugal, mais il est hanté par la crainte d’être trompé par une femme. Aussi a-t-il décidé d’épouser sa pupille Agnès, élevée recluse dans un couvent et éduquée dans l’idée que « son sexe n’est là que pour la dépendance », et doit obéissance à son mari. Horace, un jeune homme, est tombé amoureux d’Agnès au premier regard ; il se confie à Arnolphe rencontré par hasard et dont il ignore le rôle de tuteur…
Même si dans sa vraie vie, Molière épousa une jeune femme de 20 ans sa cadette qu’il avait élevée comme sa fille et qui le tournera en ridicule, il dénonce ici les mariages forcés et le ridicule de ces vieillards qui mettent dans leur lit des jeunes filles à peine sorties de l’enfance. Laissant Agnès dans une ignorance crasse, l’enfermant dans la maison comme une marchandise précieuse dans un coffre-fort, Arnolphe – qui se fait appeler par snobisme du nom aristocratique de M.de La Souche – se fait fort de démontrer que, loin des livres corrupteurs par essence des jeunes âmes, il peut parvenir à ses fins. Éloignée de toute connaissance, Agnès deviendra une épouse idéale et fidèle, entièrement dévouée à son bien être.
« La femme est le potage de l’homme » – Molière
On a souvent présenté Agnès comme une jeune fille devenue astucieuse par amour, douée d’intelligence et d’une certaine rouerie. Ici Schiaretti donne un point de vue contemporain et en fait au contraire une jeune fille aux capacités réduites à force d’ennui et de solitude. Jeanne Cohendy joue la naïveté et crée une Agnès à la limite de l’idiotie. Ce point de vue démontre que le manque d’éducation empêche l’être de se développer et le brise. Agnès sourit béatement aux propos de son tuteur et rit de tout sans nuances. Parlant des émotions que les paroles d’Horace suscitent en elle, elle décrit surtout les sensations de son corps. En répondant à l’amour d’Horace (Maxime Mansion), plus que d’intelligence, il est question ici des instincts d’un corps qui s’ouvre à la sensualité, dans une sorte de sursaut de la nature.
Face à la jeune comédienne, Robin Renucci campe un Arnolphe aigri, dominateur, obsédé par ce rêve dément d’une perfection conjugale dont il serait le centre. Le visage enduit d’un plâtre blanc qui reflète l’approche de l’âge, avec sa silhouette longiligne, il apparaît machiavélique et effrayant. Vieilli pour les besoins de la mise en scène, loin de toute séduction, il donne vie à un barbon décati et pitoyable. Comme pour le reste de son théâtre, toute l’humanité se retrouve dans cette pièce de Molière qui touche à l’éternelle inquiétude des hommes face aux femmes. Elle souligne aussi leur peur face à un mystère féminin qu’il est nécessaire de maîtriser afin de se sentir exister. Ce rêve de contrôle du corps et de l’âme des femmes a tout à voir avec l’abus de pouvoir.
L’École des femmes
De Molière
Mise en scène : Christian Schiaretti
Scénographie : Fanny Gamet
Lumière : Julia Grand
Costumes : Thibaut Wechlin
Maquillages et coiffures : Roxane Bruneton
Avec Laurence besson, Jeanne Cohendy, Philippe Dusigne, Thomas Fitterer, Maxime Mansion, Jérôme Quintard, Robin Renucci.
Jusqu’au 12 Juin au Théâtre de l’Épée de Bois
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