Le Déterreur au Tarmac
Le Déterreur, texte adapté d’un roman de Mohammed Khaïr-Eddine, raconte la révolte d’un homme contre le père, le roi, la société, le monde tel qu’il est, impitoyable aux poètes et aux hommes différents, impitoyable à l’âme et à l’amour, broyeur d’enfance et pourvoyeur de coups.
Sur scène, un homme seul dans le désert. Il pourrait être un bagnard ou un réfugié. Et ce désert évoque à la fois la cour d’une prison et le lieu ou Dieu vient visiter les prophètes et les illuminés. Mais ici, pas de Dieu, pas d’illumination, l’homme est seul face au soleil brûlant, dans un monde dépourvu de sens. Seule sa parole fait sens ou poésie, seule son humanité peut surgir et sauver ce qui peut encore l’être.
Le récit balaye un siècle d’humiliations en Afrique du Nord, de la colonisation aux travailleurs importés, considérés uniquement pour la force de leurs bras. Cette humiliation d’un peuple rejoint la barbarie familiale et intime, le manque de tendresse et d’amour. C’est le peuple en nous, bafoué par la force brutale et aveugle qui se révolte grâce aux paroles portées par le jeune acteur.
Le Déterreur, du roman à la scène : l’intime se fait cri de révolte
S’il n’est jamais aisé de porter un roman à la scène, on ne peut que constater ici la grande réussite de cette transposition. On pourrait y lire du Genet entre les lignes, du Camus. Tous les hommes sincèrement et profondément révoltés parcourent le spectacle comme des présences fantomatiques. En nous peuvent vibrer les cordes de l’innocence bafouée, de la révolte impuissante que venge la poésie. Il est beau ce spectacle, tellement beau.
L’acteur, tellurique, sensible, capable à la fois de tenir une partition d’apparence monolithique et pourtant pleine de surprises, de détours, de sources cachées dans le désert, cet acteur donc, est magnifique. La rencontre entre l’univers du metteur en scène, celui du romancier et celui de l’acteur tiennent de l’évidence. Il y a de la magie sur scène.
Le Déterreur est un spectacle qui fait du bien en ces temps ou la force gouverne tout, impose sa volonté, nous mène à la catastrophe en chantant. C’est aussi la redécouverte de la francophonie, de la richesse de cette langue imposée par les colons et devenue depuis « butin de guerre » selon les mots de l’écrivain Kateb Yacine.
La langue française n’est plus alors la lange des dominants mais celle des dominés, en un retournement poétique salvateur. Le Tarmac est un des rares lieux en France à prendre en compte cette composante pourtant essentielle – et d’une richesse inouïe – de cette culture partagée sur tous les continents. Un courage et une intuition qu’on espère un jour voir reconnus à leur juste valeur.
Le Déterreur
D’après « Le Déterreur » de Mohammed Khaïr-Eddine (Éditions du Seuil)
Adaptation et mise en scène Cédric Gourmelon
Avec Ghassan El Hakim
Scénographie et lumières Cédric Gourmelon
Régie plateau Antoine Hordé
Crédit photo : Réseau Lilas
Vu au Tarmac dans le cadre de la programmation « Traversées du monde arabe »
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