Le Dépeupleur mis en scène par Alain Françon
Le Dépeupleur n’était pas un texte destiné au théâtre mais il est devenu un objet de jeu. Mis en scène à plusieurs reprises, il a trouvé sa place aux côtés de Fin de partie ou d’En attendant Godot. Ici, un seul acteur porte la parole de Beckett et en rappelle tour à tour l’humour et l’absurde, la gravité et la légèreté. Le Dépeupleur tient de la démonstration à la baguette mais est avant tout une expérience scientifique et théâtrale.
Le Dépeupleur – « C’est l’intérieur d’un cylindre surbaissé ayant cinquante mètres de pourtour et seize de haut pour l’harmonie. » Le cadre est ainsi posé dès les premières minutes et des graphiques sur les murs qui bordent la scène nous rappellent cet énoncé implacable qui tient lieu de problématique à toute la pièce. Nous sommes dans un laboratoire, un cul de sac, nous rappelle l’acteur qui entre à la suite du public. Au centre de la scène, un cratère figure le cylindre dans lequel nous pouvoir voir des échelles et des petits personnages.
Ce monde miniature est régie par des règles strictes, une hiérarchie, des croyances qui sont détaillés l’une après l’autre. Pour qui veut voir, cette société ressemble, organisé en cercles, à celle de l’Enfer de Dante. Un monde cloisonné, sombre auquel on ne voit pas d’issue. Bien des lectures sont possibles et l’on pourra aussi penser à une métaphore de l’époque. Les chercheurs n’en finissent pas de chercher. On distingue parmi la population observée ceux qui cherchent à s’en sortir et creusent des tunnels, des niches et ceux qui ne cherchent pas ou qui se sont arrêtés.
Le Dépeupleur à la baguette
Serge Merlin entretient, notamment avec la baguette qui ponctue ses phrases, un air de savant fou. Son costume, son phrasé laisse penser au professeur Tournesol. Il regarde tour à tour ce monde miniature en observateur patient et en spectateur dégouté. C’est tout l’art du metteur en scène Alain Françon qui nous place dans cet entre-deux du théâtre et de la conférence. Les distances avec le public et avec ce petit peuple rappelées par un subtil jeu de lumière sont sans cesse brouillées. Un temps, l’acteur s’assoit parmi le spectateur et converse avec lui, un autre, il s’allonge de l’autre côté de la scène. Le regard se dédouble sur sa figure comme s’il incarnait plusieurs personnages.
Le texte n’est pas une nouveauté ni pour Alain Françon ni pour Serge Merlin qui s’en sont par le passé déjà emparé. On sent dans le jeu de l’acteur une connaissance intime du texte, de son phrasé et une jubilation dans la diction. Pour le metteur en scène, cette nouvelle adaptation présente de nouveaux enjeux. En plaçant sur le plateau son acteur au bord du gouffre et ce monde précisément au fond du trou, il s’agit de prévenir le spectateur d’une chute imminente. Faut-il voir sur la scène un miroir de notre société ? Ne sommes-nous pas aussi les cobayes ? La question reste ouverte. Serge Merlin dans une dernière facétie garde finalement le silence comme un illuminé qui en saurait plus long qu’il ne veut bien le dire.
Le Dépeupleur
Avec Serge Merlin
Mise en scène : Alain Françon
Création lumière : Joël Hourbeight
Durée: 1h
Crédit photo : I Fou pour le pôle média
Les lundis à 21h30
Jusqu’au 19 décembre au Théâtre Les déchargeurs
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