La Loi des prodiges de François De Brauer
Comment fait-il ? Comment peut-il en presque deux heures jouer à lui tout seul plus de vingt personnages sans compter une foule de manifestants, une visite dans un musée, la rue animée de voitures, de vieux qui la traversent et de klaxons en tous genres ? Après avoir exploré les répertoires classiques et contemporains sous la direction de metteurs en scène aussi différents que Michel Didym, Marc Paquien, Clément Poirée ou Sara Llorca, François de Brauer s’est souvenu des matchs d’improvisations qu’il pratiquait à ses débuts et s’offre, en écrivant et en interprétant La Loi des prodiges, un seul en scène magistral. Un plateau nu, quatre chaises, un orchestre symphonique qui interprète faux un air martial de Strauss (Portsmouth Sinfonia toujours étonnant à découvrir) plante, dès le début, le décor de cette performance hilarante qui d’une pirouette à l’autre, nous entraîne dans les méandres de cette Réforme Goutard qui vise à l’éradication de l’Art et des artistes.
Les artistes, une engeance inutile
Périple d’une vie, celle de Rémi Goutard racontée comme une saga où le héros passe d’une enfance et une adolescence vécues entre une mère frustrée et un père « scénariste médiocre et schizophrène de génie » (aux dires de son psychanalyste) à un âge adulte qu’il vit mal dans ses godasses. La rencontre du jeune Rémi avec Régis Duflou, peintre snob, à l’art prétendument engagé politiquement – mais n’est pas Andy Warhol qui veut ! – et très côté sur le marché, est décisive dans la vie de l’enfant. Vouant une haine indéfectible à Duflou, la vie de Goutard bascule et le fait à tout jamais détester l’art et les artistes. Devenu député, le pâle historien Goutard n’aura de cesse d’éradiquer cette engeance à la fois improductive et semeuse de désordres sociaux.
La pièce commence par la naissance de Rémi. Jouant tous les rôles -le père, la mère, le bébé en train de naître, le médecin et la sage-femme – François de Brauer est un virtuose. Sans aucun accessoire, uniquement porté par le jeu, sa voix se transforme et il passe d’un personnage à l’autre avec une apparente facilité. De celle qui suggère de fait un travail patient sur le geste, l’écriture et l’interprétation au cordeau de personnages inscrits dans une ambiance sonore et un lieu précis. On passe ainsi de l’hôpital à l’appartement familial, d’une visite au musée à une émission de télévision en direct, d’une manifestation devant l’Assemblée nationale que des touristes japonais et leur appareil photo mitrailleur immortalisent au bureau d’un chef d’État dictateur version Ubu.
« Tout un monde que chacun porte en soi »
Chacun doit exprimer le monde qu’il porte en soi, pourtant pour Goutard « les toiles sont plus difficiles à regarder qu’à peindre ». Mais au-delà de la haine tenace de Goutard pour Régis Duflou, « La loi des prodiges » raconte aussi les difficultés personnelles, les frustrations, plus largement la vie et le temps qui passe.
Soulignant les contradictions et les inepties de chaque personnage, François de Brauer pose en fait de vraies questions. À quoi servent l’art et le beau ? Qu’est-ce qu’un artiste et quel rôle joue-t-il dans la société ? Comment infléchir une politique culturelle qui ait du sens ? Dans une démonstration a contrario, il finit par faire un véritable plaidoyer en faveur de la création artistique et de la nécessité des artistes dans la société.
Sans effets démonstratifs, avec un humour qui ne se dément pas, jouant sur le décalage, l’inattendu et la tendresse, François de Brauer nous invite à quitter cette culture à bon marché vouée à la surenchère médiatique et économique, et ses réformes inutiles, pour cultiver le doute nécessaire qui maintient l’étonnement et la créativité indispensables à la rencontre. Loin de ces spectacles pseudo-humoristiques, sans emprisonner l’espace, l’auteur-interprète nous invite à reconsidérer le monde au-delà de nos conditionnements et de nos peurs. Un spectacle plein de poésie et de profondeur, une interprétation au millimètre, un acteur prodigieux à la fois drôle et touchant, à ne pas manquer et à (re) découvrir de toute urgence.
La Loi des Prodiges
(ou la Réforme Goutard)
Ecriture et interprétation : François de Brauer
Collaboration artistique : Louis Arène (de la Comédie-Française), Joséphine Serre
Création Lumières : François Menou
Création Costumes : Christelle André
Crédit photos : Victor Tonelli
Durée : 1h40
Jusqu’au 13 mai au Théâtre de la Tempête
Du mardi au samedi à 20h30 / Dimanche à 16h30
Tournée
26 mai : Saint-Christol-lès-Alès
2 juin : Festival l’Ile au Théâtre, Montesquieu-Volvestre
29 juin : Festival Gueules de Voix, Saint-Jeannet
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