Lorsque l’on cherche a remonter l’Histoire de la France, Jeanne d’Arc fait partie des personnages incontournables qui cristallisent un moment du roman national à côté de ces mythologies qui, paraît-il, créent l’identité française comme la 2 CV, le camembert et la baguette.
Au-delà de la réalité historique et de la réalité tout court, Joseph Delteil écrit « sa » Jeanne en 1925, cinq ans après la canonisation de la vraie Jeanne d’Arc. Même si elle lui sert de cadre, Delteil prend ses aises avec la chronologie et la vie légendaire de son héroïne que racontent les livres d’école. Il imagine une France dont » l’air sent la rose, le Loire et Ronsard ». Il mêle le ciel, l’odeur des bestiaux et la terre. Il invente une enfance et des rêves à l’héroïne nationale, rapproche les époques, nous rappelant ses sympathies pour le Surréalisme.
Tout ce concentré d’énergie dans l’écriture de Delteil – adapté par Jean-Pierre Jourdain- se retrouve dans celle de la poésie du plateau dont se sert Christian Schiaretti pour sa mise en scène qui suit le même schéma que le texte. À bride abattue, Schiaretti dirige Juliette Rizoud qui, seule en scène, déploie une énergie inégalée pour donner à voir tous les pesonnages de cette histoire. On est époustouflé par sa vitalité, la précision et la rapidité avec lesquelles, elle intègre les différents épisodes de ce long récit qui passe de l’épique à la langue du quotidien. Son personnage oscille avec la même détermination entre le désir de confrontation et la passion, entre l’enthousiasme et le désespoir, entre ses croyances et les déceptions.
» La fille belle des victoires »
Elle est devant nous. La voilà , » la fille belle des victoires » et on est fasciné.
Le spectacle se constitue sous nos yeux. Partant du plateau vide et de toutes ces choses entassées dans les coulisses des théâtres, Schiaretti fait naître l’histoire de Jeanne par la magie et la seule force des mots du récit. Dans une sorte d’immédiateté, la comédienne se sert des objets qui lui tombent sous la main pour poser un cadre à l’épopée de la jeune chef des armées. Une bouteille d’alcool à brûler et c’est Jeanne bébé qui sera représentée en boîte d’allumettes à la fin de sa vie. De la naissance au bûcher, les grands événements nous sont rapportés, non du point de vue historique, mais de celui du cœur de Jeanne qui, en s’enflammant, bat et impose son rythme à toute cette histoire. Après l’épisode du sacre de Reims, alors que Jeanne est reniée par le roi, un instant sans objet à transformer, la comédienne joue l’hésitation et donne à voir une Jeanne proche d’une femme d’aujourd’hui, celle qui perd son travail et que l’on remercie.
L’échelle pour les lumières, les élingues pour les cintres, le balai pour le plateau, les chariots pour transporter le matériel, tout objet est transformable . Confiante en la force du verbe, il suffit à l’actrice de parler pour que la chose existe. Elle tire une table, grimpe dessus, et voilà le beau cheval offert par Charles VII, représenté en vieux tabouret de bar renversé ! Elle aligne des pieds de projecteurs et c’est toute l’armée vivante dont elle prend le commandement qui surgit ! Des cordes ? Et voici le bois du bûcher. Un pied de projecteur recouvert d’un tissu pourpre et voilà que surgit l’affreux évêque Cauchon…
Comme Delteil qui suit le déroulement des faits et introduit des digressions ou des anachronismes dans son récit pour mieux ruiner la légende, Schiaretti travaille sa mise en scène avec l’envers du décor, pour mieux nous conduire vers l’émotion de la fin de Jeanne d’Arc. En abolissant les barrières entres les époques, en détournant les objets de leur fonction, la distance entre le spectateur et l’actrice finit par disparaître. Portées par la seule force du récit du supplice de Jeanne, avec cette fumée qui monte à l’arrière-plan, la barre de fer recouverte de tissu blanc qui représente Jeanne au bûcher et la comédienne au premier plan finissent par se confondre dans la même émotion. Cette joie naïve à inventer, à transformer a la force de la toute puissance des jeux d’enfants, c’est celle aussi qui relève de l’illusion théâtrale.
[note_box]La Jeanne de Delteil
Adaptation : Jean-Pierre Jourdain
D’après le roman de Joseph Delteil
Mise en scène : Christian Schiaretti
Avec Juliette Rizoud, comédienne dela troupe du TNP de Villeurbanne[/note_box]
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