Grâce à une adaptation brillante qui a su capter toute la puissance théâtrale du propos, la plus célèbre nouvelle de Tchekhov devient un intense moment sur scène, conduit par deux comédiens d’une folle élégance. Un petit bijou.
A l’aube du XXème siècle, Tchekhov, dont les pièces de théâtre à connaissent enfin un vrai succès, est un nouvelliste unanimement reconnu. « La Dame au petit chien » reste aujourd’hui encore une des œuvres les plus emblématiques de sa carrière. Probablement parce que s’y concentre tout Tchekhov, passion et nostalgie, profondeur des sentiments et vaine superficialité de la vie, le tout nimbé cependant de ce fol espoir si typiquement russe. Gorki lui écrira d’ailleurs : « Après le plus infime de vos contes, tout paraît grossier, écrit non avec une plume, mais avec une bûche. Vous accomplissez un travail énorme avec vos petits récits, en éveillant le dégoût de cette vie endormie, agonisante… Vos contes sont des flacons élégamment taillés, remplis de tous les arômes de la vie ». C’est à Yalta, station balnéaire au bord de la Mer Noire, où l’aristocratie russe se paye de l’ennui à prix fort, que se situe l’action. Un homme marié y rencontre une femme dont l’époux est resté à Saint-Pétersbourg. Leur liaison, d’abord simple flirt de vacances, se mue en passion dévastatrice car sans lendemain.
Une adaptation de haut vol
Aussi léger qu’impitoyable, le récit fourmille de détails anodins conférant à l’ensemble cette torpeur de l’ennui que tentent de tromper les êtres en se rapprochant toujours plus, parfois trop. La nature estivale, les vapeurs vespérales s’en mêlent, enivrant les esprits qui s’échauffent jusqu’à leur perte. Les êtres ne sont alors plus que pantins articulés par le fil de leur propre pulsion. Comme dans « Anna Karénine » de son compatriote Tolstoï, Tchekhov va jouer avec ses personnages, les déchirer, les raccommoder sans cesse. Avec une fin moins tragique, toutefois, si tant est que la vie ne soit pas une tragédie…
Claude Merle signe une magnifique adaptation, très vivante, de cette nouvelle, toute en descriptions mais au potentiel pourtant fortement théâtral. Gommant les personnages secondaires, il resserre sur le couple adultérin une intrigue qui réalise un grand écart émotionnel. Très drôle avant la consommation de l’adultère, le propos s’aggrave une fois commis l’irrémédiable. Comme l’Anna de Tolstoï, l’Anna (coïncidence ?) de Tchekhov ne respire plus que pour son amant. Elle est ici délicieusement campée par Gaëlle Merle, exquise de légèreté ou d’abandon. Elle réussit à ne pas être le simple faire-valoir du géant de la scène qu’est son partenaire Jean-Pierre Bouvier, évidemment magistral. Tous deux formes un couple d’exception dans ce tourbillon des sentiments. Leur gestuelle est précise, leur jeu puissant et complémentaire. Soixante-dix minutes durant, on est bien loin de Paris. Sur cette petite scène du théâtre de la Huchette, c’est toute la Russie de Tchékhov que nous font vivre ces deux comédiens, excellemment bien dirigés et mis en scène, qui rendent sublimes la plus banale des situations.
La Dame au petit chien
D’après la nouvelle d’Anton Tchekhov
Adaptation : Claude Merle
Mise en scène : Anne Bouvier
Scénographie : Charlie Mangel
Lumières : Jacques Rouveyrollis
Costumes : Mahadevi Apavou
Jusqu’au 28 février
Les jeudis, vendredis et samedis à 21 heures
Théâtre de la Huchette
23 rue de la Huchette, 75005 Paris
Réservations: 01 42 49 27 97
site web
Rejoindre la Conversation →