La Cerisaie de la compagnie Tg STAN est un grand arbre magnifique, tout de fleurs cabossées et de bourgeons rouillés : une plongée exacte dans l’univers de Tchekhov.
La grande propriétaire terrienne Lioubov Andreïevna Ranevskaïa revient de Paris, elle éreintée, elle a un sportswear bleu roi sur le dos, des petits tennis blancs et des borborygmes qui lui arrivent par spasmes. Elle s’agite de l’un à l’autre en (fausse) étourdie de l’instant et l’un est l’autre passe d’elle à lui-même, dans une langueur qui a l’air d’avoir quelques siècles. Joyeuse ribambelle enrobée d’inertie laissant flotter dans l’air cette question, comme un parfum de rigueur : qu’en sera-t-il demain du sol qui est sous nos pieds, la Cerisaie sera-t-elle vendue ?
Avec cette adaptation contemporaine d’une pièce pas si ancienne, le Tg STAN réussit un morceau de bravoure : faire du neuf sans faire du nouveau, revigorer ce qui aurait eu sans eux de légers airs de vieille tante sans toucher au reste. Leur customisation des années 2000, sous des airs légers, a une densité rare. La poésie qu’ils ajoutent touche à la scénographie (qui frise le génial), aux costumes, à la musique (« one day baby.. »), au jeu (distancié, si précis), très peu au texte. L’intelligence et la sensibilité dont les créateurs belges font remarquablement preuve trouvent le juste mélange et l’équilibre sur le fil entre actualisation et conservation: le Tg STAN rafraîchît la demeure sans la défigurer ; défi relevé, et le chef d’œuvre de Tchekhov apparaît.
Une Cerisaie très contemporaine
Tout y est intact : le texte, l’histoire, les personnages, les lieux. La force de l’écriture et la puissance de ce qu’elle soulève. Fait un peu trop rare dans les adaptations scéniques de textes grandioses, le Tg STAN a le génie de laisser place au génie de l’auteur : dans un doux flottement rythmique, tout est simplement posé et nous arrive, comme est certainement arrivé à l’écriture : par points d’interrogation. Pas de parti pris dans l’interprétation, pas de « propos ». Il semblerait que le Collectif ait appliqué à sa lecture de la pièce sa manière de travailler : une création plurielle et collective, sans dogmatisme et sans chef. Le texte y retrouve fraîcheur et dynamisme, et la plus grande ouverture que l’on puisse lui trouver. La plus grande poésie donc, qu’il recèle.
Depuis nos sièges, où nous accable la douce lévitation qui flotte par particules dans la salle, nous savourons pas à pas le moment. L’apesanteur ambiante est un délice rythmique, traversée parfois de déchirements, parfois criblée de rires. L’émotion y apparaît nue et ne reste jamais longtemps, jamais assez de temps pour pouvoir s’y installer. Il ne s’agit pas de comédie, de tragédie ou de drame. La Cerisaie n’est pas cela et tout cela et le spectateur s’y retrouve comme au cœur de sa vie : « le cul entre deux chaises », à la fois anesthésié et perplexe, prêt à passer du rire aux larmes et ne pouvant ni rire ni pleurer, foudroyé qu’il est par la complexité du monde et par les hommes qui y vivent, si beaux.
tg STAN : La Cerisaie
De Anton Tchekhov
Un projet de et avec : Evelien Bosmans, Evgenia Brendes, Robby Cleiren, Jolente De Keersmaeker, Lukas De Wolf, Bert Haelvoet, Minke Kruyver, Scarlet Tummers, Rosa Van Leeuwen, Stijn Van Opstal, Frank Vercruyssen.
Lumière : Thomas Walgrave
Scénographie : tg STAN
Costumes : An d’Huys
Crédit photo: Koen Broos
Vu au Théâtre National de Bordeaux Aquitaine à Bordeaux
Au Lieu Unique à Nantes, le 24 Novembre
Au Bateau de Feu à Dunkerque, les 26 et 27 Novembre
Au Théâtre de La Colline à Paris, du 2 au 20 Décembre.
Plus d’infos sur les dates de tournée : tg STAN
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