Les Fils prodigues-Diptyque – Mise en scène : Jean-Yves Ruf
Un fils se brouille avec son père, un autre vole le sien. Tous les deux fuient leur famille. Le premier est attendu chaque jour par son père, le deuxième devient un objet de la haine délirante du sien. Éternelle question de la relation père/fils et de la transmission des valeurs.
Hasard des rencontres pour Jean-Yves Ruf qui réunit dans Les Fils prodigues deux pièces cousines issues de répertoires différents : Plus qu’un jour, une des rares pièces de l’anglais Joseph Conrad et La corde, une œuvre de jeunesse d’Eugène O’Neill, américain d’origine irlandaise de trente ans son cadet et Prix Nobel de littérature en 1936. De ces deux textes de facture classique, il crée une mise en scène résolument moderne qui joue sur le télescopage des époques, des langues et des rythmes.
Du désir de s’échapper
Conrad et O’Neill ont tous les deux en partage l’expérience de la mer. Le premier est demeuré seize ans dans la marine marchande, le deuxième a pris la mer durant deux ans. Écrin à la monotonie des jours pour l’une, à l’exaltation des sentiments pour l’autre, Jean-Yves Ruf en fait le trait d’union de sa mise en scène sous la forme d’images filmées qui surgissent comme un rêve lointain ou une fureur inaltérable pour ceux qui sont restés sur le rivage.
Dans Plus qu’un jour, le père, plein de remords fantasme le retour de son fils auprès de sa jeune voisine qui lui tient compagnie tout en s’occupant de son père aveugle. Mon fils reviendra et il vous épousera affirme le vieil homme. La jeune femme finit par croire à son délire et par en faire son propre rêve. Quand enfin son fils revient, il ne correspond pas au fils rêvé par le père, et puis cela ne peut être lui, car c’est pour demain… Pour Eugène O’Neill, le retour du fils prodigue est une sorte de parabole à l’envers où le père a sombré dans le délire et exige toujours le châtiment de son crime.
De la réalité au retour vers le mythe
Rythme lent et quasi hypnotique pour le texte de Conrad, tension pour celui d’O’Neill, le thème séculaire de la relation père-fils débouche sur l’éternelle question de la transmission et des oppositions intergénérationnelles. Par un jeu de résonnances mutuelles, les deux textes se répondent. La mise en scène rigoureuse et la direction d’acteurs précise de Jean-Yves Ruf les rend à la fois distincts et enchevêtrés par le truchement de renvois successifs et par l’organisation d’un espace scénique qui contient les deux univers. Du décor tranquille de deux maisons jumelles de la pièce de Conrad imaginé par Laure Pichat, surgit celui de la scierie qui sert de cadre à la pièce d’O’Neill avec la corde installée au milieu des stocks de planches.
La langue très classique du texte de Conrad tourne en boucle alors que celle de la pièce d’O’Neill se rapproche de l’oralité, mais elles traduisent toutes deux le même enfermement dans le microcosme familial qui brise une rébellion sans but et où l’argent devient la seule valeur de transmission possible. Chez Conrad et O’Neill les fils ne désirent pas dépasser les pères, réinventer un microcosme familial différent ou une quelconque utopie sociale. Pour ne pas leur ressembler, leur seule alternative est une aspiration à la fuite, au nomadisme et à la solitude.
C’est court, dense, et remarquablement écrit. On dirait un conte, une parabole sortie des écritures. Deux pièces intenses, qui vont fouiller dans nos mondes les plus enfouis pour nous ramener aux mythes de la création des mondes lorsque Cronos émascula son père Ouranos avant de dévorer ses propres enfants.
Les Fils prodigues-Diptyque
One day more (Plus qu’un jour) de Joseph Conrad
& The rope (La corde) d’ Eugène O’Neill
Nouvelles Traductions de Françoise Morvan
Mise en scène : Jean-Yves Ruf
Avec Djamel Belghazi, Jérôme Derre, Johanna Hess, Vincent Mourlon, Fred Ulysse
Son et vidéo : Jean-Damien Ratel
Lumière : Christian Dubet
Décors : Laure Pichat
Costumes : Claudia Jenatsch
Crédit photo : Rodolphe Gonzalez
Vu le 17 Janvier 2018 à sa création au Maillon, Théâtre de Strasbourg, Scène Européenne
Tournée
20 et 21 Mars 2018 au Théâtre Sénart, Scène Nationale de Lieusaint
4, 5, 6 et 7 Avril 2018 à la Comédie de Picardie à Amiens
17, 18 et 19 Avril 2018 à la Comédie de l’Est, CDN de Colmar
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