Théâtrorama

« Un site sauvage dans la montagne. Une tour dont le rez-de-chaussée sert de prison à Sigismond. La porte, qui fait face au spectateur, est entr’ouverte. La nuit tombe. » Il ne suffit de rien de plus : le bâillement d’une porte entraînant celui d’une bouche, et c’est un esprit qui rejoint déjà la nuit. Mais cette nuit-là sera différente, nuit dans la nuit, conte dans le conte, tout entière « impression ». Elle portera l’empreinte de Calderón et le dessin d’un labyrinthe intérieur, dans lequel se glisser à nouveau comme on rejoint une illusion.

Les premiers pas, dans l’ombre, conduisent la part d’un enfant en songe. C’est un écho d’une œuvre à une autre, un texte qui s’immisce dans des lignes étrangères mais qui lui ressemblent : c’est le chemin de l’enfant du poème de Peter Handke – le même qui porte les « ailes du désir » de la funambule de Wim Wenders – pénétrant sur la scène par sa voix. Cet enfant ne sait encore rien, il peut donc encore tout croire, tout questionner, de son œil ignorant et curieux et de ses lèvres innocentes.

Entre les traits de « La Vie est un songe », d’autres se faufilent pour former les contours d’« un monde extraordinaire dans lequel vivre, c’est rêver ». Les acteurs de Calderón sont tous là : Rosaura et sa figure de femme sous un costume d’homme, Sigismond l’héritier affligé en Prométhée enchaîné, Étoile et sa fraction orgueilleuse de ciel, Clothalde et son voile de père, le duc Astolphe, prétendant à une couronne de chimère, le roi Basile et ses astres déviés, et enfin Clairon, attaché à tendre les fils entre les uns et les autres, à sonner le passage entre la réalité et le rêve. Mais sur la scène d’Alexandre Zloto, ils deviennent à leur tour enfants et poètes, rêveurs et rêvés, fantasques et fantasmés. S’ils suivent la lettre de la pièce originelle, ils la brisent bientôt par ellipses, parenthèses qui resteront ouvertes et images d’un songe absolu.

Nuit et naissances
Le pays de Calderón est un royaume qui se meurt pour avoir oublié ses enfants ; il est celui de « punitions éternelles » où mort et naissance se confondent. La corde qui retient l’affligé entre ses rochers, cordon métaphorique, l’empêche de rejoindre autant la réalité que le rêve. Sigismond n’est ainsi jamais né, jamais mort, mais son monde de nuit est pourtant bien une aube. Car l’affligé est promis au prodige – autour de lui, depuis le cœur qu’il imprime, choses et êtres palpitent, puis se tiennent immobiles pour marquer une césure dans le temps et dans le lieu, la place à graver pour l’entrée dans le songe.

Tous naissent à l’illusion pour renaître à la vie. Par le rêve, souvenirs et devenir resurgissent dans un espace étrange et inquiétant, où chacun s’éclaire par à-coups pour former le tableau d’une constellation. Les murs s’effondrent alors ; on se demande qui est « le rêveur dans le rêve » ; on suit Clairon suivant lui-même « le petit théâtre de son cerveau » ; on dort éveillé, car on « croit ce que l’on voit quand on dort » ; on s’accroche à la fiction qui ordonne de nouvelles apparitions. Dans cette grotte, abyme baroque, les mots deviennent des reflets d’eux-mêmes et les phrases se répètent, les visages passent de l’autre côté de leur miroir, Clairon s’enchaîne à son tour, Étoile est une danseuse sur pointes, les personnages commentent leurs propres actes. « Bon gré mal gré, jouons notre rôle ! » Et prétendons que ce rêve-ci est vrai, et que le sommeil s’assimile à l’éveil. Ne soyons pas étonnés d’un rêve et de ses expériences, et « levons-nous à la nuit », et aux fortunes de cette nuit.

Impressions d’un songe
D’après « La Vie est un rêve » de Calderón (trad. Denise Laroutis, éd. Les Solitaires intempestifs)
Mise en scène d’Alexandre Zloto
Avec A. Bégoin, F. Chevallay, B. El Amari, C. Gonon, D. Kostenbaum, C. Piette et Y. Policar
Création lumière et construction : Paul Alphonse
Création sonore : Julien Torzec
Création costumes : Lucile Lacaze
TAFThéâtre création
Photo © Annabelle Jouchoux
Au théâtre du Soleil – Cartoucherie de Vincennes du 12 mai au 14 juin 2015

 

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