Théâtrorama

Harlem Quartet mis en scène par Élise Vigier

Harlem Quartet est un hymne d’amour vibrant, un chant d’amour d’un frère aîné à son cadet, mort à l’âge de 39 ans…Harlem Quartet, c’est Hall Montana qui se souvient avec une précision douloureuse de sa famille, de ses amis, de cette communauté noire américaine qui vivait à Harlem dans les années 50/60.

En adaptant Just above my head, de l’américain James Baldwin, Élise Vigier, qui fait aussi la mise en scène, signe un spectacle émouvant qui, à travers la petite histoire d’une famille et d’un groupe de musique rejoint la grande histoire de l’Amérique mythique des années 50-60, une Amérique rongée aussi par la haine raciale, la ségrégation et les violences sociales.

La famille Montana élève ses deux fils : alors que Hall s’apprête à partir pour la guerre de Corée, Arthur se prend de passion pour le gospel et monte un groupe avec ses amis Crunch, Red et Peanuts. Dans le même quartier de Harlem, Julia, une fillette évangéliste prêche avec ferveur dans les églises accompagnée de Jimmy, son petit frère délaissé par ses parents… Au-delà des personnages et de ce quartet de base constitués d’un côté par Hall et Arthur et de l’autre par Julia et Jimmy, c’est aussi tout un quartier qui chante la gloire de Dieu et vibre aux sons du gospel, du jazz, tout en se battant pour la reconnaissance des droits civiques des noirs.

Harlem Quartet, le fil de la mémoire

Traverser l’Histoire comme on traverse le pays…

« Tout ne commence pas et ne finit pas avec nous », affirme Hall et de fait, raconter l’histoire de son frère Arthur revient à affronter à la fois l’amour qu’il lui porte et la mort dont il n’a pas su le préserver. Abolissant le temps et l’espace, le récit fait des sauts dans les époques, croise les regards et s’écrit au fil des souvenirs dans un ordre qui suit à la fois les émotions du moment, les soubresauts de l’histoire et le rythme des gospels.

À partir d’images projetées du Harlem d’aujourd’hui se redessine en creux la mémoire de ce que fut le quartier d’autrefois. La musique devient aussi un autre fil directeur qui permet de passer au récit, puis à la parole murmurée. La scénographie découpe l’espace en lieux divers selon un dispositif de panneaux coulissants qui abrite un intérieur d’appartement, un club de jazz, une église, une cuisine ou une chambre à coucher. Les rues, les églises ou les visages filmés aujourd’hui reconstituent par bribes un New York intemporel.

« Redonner du sens aux vieux mots de la tribu », c’est ce que font Hall, Arthur, Red ou Crunch qui, sous couvert d’errance, essaient de donner de la cohérence à leur recherche, à la musique qu’ils chantent de toute leur âme ou à la lutte antiségrégationniste. Sous le choc du deuil et dans cet « entre-temps », le fil emmêlé de la mémoire de Hall retrace bribe par bribe le parcours de son frère Arthur, de son quatuor, mais aussi celui de Julia et de son jeune frère Jimmy.

Les faits se reconstituent peu à peu en une partition où le passé ressurgit dans le présent, où la musique jouée en direct sur le plateau se mêle à des sons d’archives ou des chants traditionnels de la communauté noire américaine. Liberté généreuse chez les six comédiens d’un côté et de l’autre, rigueur d’une mise en scène dont le principal fil conducteur est le questionnement de la mémoire.

Dans leur adaptation, Élise Vigier et Kevin Keiss (également traducteur du roman) privilégie trois directions : le temps présent du frère qui raconte son histoire, le temps des souvenirs des uns ou des autres qui fonctionnent comme autant de flashs et envahissent le plateau, et au final la coexistence du présent et du passé. Par bonds successifs, Hall devient le guide d’un récit embrouillé dont il défait les fils un à un pour le transmettre dans toute sa complexité à ses enfants et au public.

La mémoire finit par délimiter un trajet dans les histoires successives de gens que l’on a aimés, dans une ville, dans un quartier, dans un pays et une époque qui vit se transformer dans la violence tout un pan de l’histoire américaine. Un spectacle entre nostalgie et rage de vivre, entre générosité et repli sur soi, tout parle dans Harlem Quartet de la fragilité de la vie, de la beauté des êtres, mais surtout de l’amour que l’on se porte à soi-même et que l’on porte aux autres.

 

Harlem Quartet
À partir du roman de James Baldwin
Adaptation et mise en scène : Élise Vigier
Avec Ludmilla Dabo, William Edimo, Jean-Christophe Folly, Nicolas Giret–Famin, Makita Samba,
Nanténé Traoré, Marc Sens et Manu Léonard
À l’image Saul Williams et Anisia Uzeyman
Traduction, adaptation et dramaturgie : Kevin Keiss
Assistante et collaboration artistique Nanténé Traoré
Scénographie Yves Bernard
Création images Nicolas Mesdom
Création musique Saul Williams, Manu Léonard et Marc Sens
Création lumières Bruno Marsol
Création costumes Laure Mahéo
Maquillage et perruques Cécile Kretschmar
Durée : 2h30 environ

Crédit photos: Patrick Berger

Jusqu’au 30 mars 2018 La Manufacture des Oeillets – CDN d’ Ivry

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