Théâtrorama

Drôle de spectacle que ce « Grand fracas issu de rien » créé collectivement par une bande de déjantés farceurs et mis en scène par Pierre Guillois, farceur en chef, qui a organisé ce joyeux désordre.

Drôle de concept aussi : « Cabaret spectral ». Cabaret certes puisque des numéros de différents artistes se succèdent, mais spectral ? Dès le titre, nous sommes déjà dans le dévoiement, le détournement d’une réalité qui va se dérégler et emporter le spectateur là où il ne s’y attend pas.

Il apparaît comme une ombre noire sur le côté de la scène. Devant lui, une sorte de calebasse qu’il se met à frapper sans regarder rien ni personne, comme pour lui-même, selon des saccades ancestrales, de celles qui ont toujours fait danser les hommes. À cour, une voix a capella nous surprend, sortie d’une robe rouge à froufrous, surmontée d’une tête de poupée malicieuse et concentrée, alors qu’un présentateur de télé s’emmêle les pinceaux avec ses mots, victime d’un écran qui n’en fait qu’à sa tête. Et puis il y a aussi ce drôle de jongleur, virtuose de la balle et perdu dans ses rêves. Et encore ce gymnaste, rouleur de mécaniques qui n’a pas l’air de savoir où il habite. Tous surdoués certes, mais solitaires dans un monde où les mots, les objets, les balles et les étoiles semblent doués d’autonomie. Les mots, dont le sens parfois nous échappe, s’entrechoquent avec le mouvement, le rythme ou la voix comme livrés à eux-mêmes et sortis de nulle part. Pourtant de ce chaos surgit l’harmonie, chaque art visant à toucher de façon spécifique la sensibilité du spectateur.

Un cabaret entre rêve et réalité
Dominique Parent se charge des mots de Valère Novarina. Il bouscule et chahute le texte avec une époustouflante célérité. Les mots se fracassent et s’écrivent sur un écran au fur et à mesure qu’il les prononce. Dans le labyrinthe verbal où il nous entraîne, surgit la poésie et un sens caché que chacun peut recomposer selon sa fantaisie. Face à cette logorrhée, la voix de soprano colarature de Sevan Manoukian, comme suspendue aux limites du possible, atteint directement les sommets et les profondeurs du cœur.

Gymnaste, loin des sentiers de la compétition, Lucas Antonellis lutte avec ses acrobaties contre les lois de la pesanteur, secouant, avec une force qui confine à la grâce, les lourdeurs de nos propres carcasses endormies. Et puis il ya Adrien Mondot dont les jongleries nous ramènent vers l’enfance. Comme sur un fil, il traverse l’espace jouant avec désinvolture avec des balles réelles ou virtuelles jaillies avec fracas d’un grand tout qui ne ressemble à rien. Perdu lui aussi dans un rêve solitaire, Benjamin Sanz fait rythme de la moindre branche et avec rage ou douceur, il tape sur tout ce qu’il trouve.

Au-delà de ces arts aux contours bien définis – en apparence – se faufilant entre les mots, jouant avec le tempo et le mouvement, la machine numérique de Claire Bardainne crée en direct un monde qui s’affole. Les mots s’entrechoquent et mettent le sens cul par-dessus tête et naissent du son ou du mouvement. L’image sur l’écran en se multipliant, en se déformant devient alors la projection de nos fantasmes et peut-être de nos craintes. L’unité de ce grand fracas issu de rien laisse place alors à un monde de fantômes bienveillants et malicieux qui, sous le béton rigide de nos réalités immuables, se nourrissent de nos bouffonneries verbales, de tours de passe-passe et de poésie à tous les étages.

Grand fracas issu de rien
Cabaret spectral/ Création collective
Concept : Pierre Guillois
Avec Lucas Antonellis (gymnastique),Claire Bardainne (interprétation numérique), Sevan Manoukian (chant), Adrien Mondot (jonglage et informatique), Dominique Parent (comédien), Benjamin Sanz (percussions).
Crédit photo: David Siebert
Durée : 1 h 15

Du 3 au 12 Février 2015 au Théâtre71 puis en tournée
Mardi et Vendredi à 20 h 30- Mercredi, Jeudi et Samedi à 19 h 30- Dimanche à 17 h

 

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