Festen à l’Odéon
Festen – Une grande famille bourgeoise s’apprête à fêter joyeusement l’anniversaire du patriarche. Elle se réunit autour d’un bon dîner, au sein d’un décor somptueux et clair, blanc comme la neige. Ce décor très propre servira, on le devine bien vite, à laver son linge (très) sale en famille. Le rituel du dîner d’anniversaire basculera alors vers d’autres rituels, archaïques et sauvages : l’exorcisme des démons, et la purgation des passons par la tragédie.
Avec Festen, spectacle tiré du film éponyme de Thomas Vinterberg, Cyril Teste et sa troupe s’attaquent à une grande – une très grande – œuvre de cinéma. Ce lien proche avec une image encore très vive dans les mémoires permet de fouiller efficacement les liens entre théâtre et vidéo. En effet, spectacle après spectacle, le metteur en scène les font se rencontrer dans un même creuset afin de proposer de nouveaux codes narratifs.
En s’attaquant à ce grand film, le metteur en scène renverse le cycle d’adaptation traditionnel qui veut que – le plus souvent – ce soit une pièce de théâtre qui finisse sur un grand écran. Le théâtre absorbe donc ici un chef d’œuvre du cinéma pour en questionner la matière. Pour en faire théâtre ? Risqué… D’autant plus que le film de Vinterberg possède une charge émotionnelle rare, une puissance de déflagration quasi indépassable.
Alors oui, de fait, le spectacle est moins fort que l’œuvre originale. La tragédie – transmise ici avec des procédés de distanciation – ne parvient pas à atteindre l’âme autant que l’extrême proximité du film. Rappelons que « le dogme », une théorie danoise du cinéma – portée notamment par Lars Von Trier – faisait de la non-distanciation une règle absolue. Le cinéaste, caméra au poing, au plus près de l’action, ne laissait aucun répit, aucune échappatoire au spectateur. Ce n’est pas le cas ici puisque Cyril Teste choisit au contraire de monter le spectacle comme une œuvre picturale, un grand tableau de maître dont il nous fait voir l’ensemble et le détail.
L’ensemble et le détail
Cependant, la comparaison avec le film cesse d’être pertinente dés lors que l’on s’attache vraiment au projet du metteur en scène. En effet ce qui rend la tentative de Cyril Teste passionnante, c’est bien cette distanciation, cette esthétique de l’horreur au sein d’un tableau bucolique. « Le diable niche dans le détail », et le spectacle s’amuse avec les jeux de focalisation qui mettent à mal le spectacle bourgeois de l’anniversaire. L’écran vidéo, situé au-dessus des spectateurs joue à plein son rôle, à la fois de mise à distance et de mise en proximité. La vision des coulisses, où la caméra suit les comédiens, rappelle aussi une tradition oubliée et virtuose, celles des « dramatiques », les pièces de théâtre filmées en direct et données sur l’Ortf. Le théâtre est ainsi donné à voir dans ses entrailles. Les éclats se passent bien souvent en coulisses, et sont retransmis en gros plan sur la scène, sous le regard indiscret des personnages qui y sont restés, ainsi que des spectateurs-voyeurs que nous sommes…
Après la révélation du drame, le décor reste inchangé, mais il a pris une toute autre signification. Le tableau au-dessus du piano, qui représente une scène a priori inoffensive prend un sens tout à fait différent. On peut y voir Orphée et Eurydice et y deviner les ombres tragiques.
Le metteur en scène continue donc d’explorer – pour le meilleur – les possibilités données par le mariage entre le théâtre et la vidéo. Le rendu est puissant et esthétiquement parfait. S’attaquer à ce monument permet à Cyril Teste d’affiner la grammaire de son théâtre et de s’exercer à la virtuosité. S’il n’est pas aussi fort que le film, en revanche le spectacle pourrait contenir en germe les œuvres à venir. Peut-être l’invention d’un « dogme »?
Festen
De Thomas Vinterberg et Mogens Rukov, adaptation théâtrale Bo Hr. Hansen
Mise en scène Cyril Teste
Avec Estelle André, Vincent Berger, Hervé Blanc, Sandy Boizard ou Marion Pellissier, Sophie Cattani, Bénédicte Guilbert, Mathias Labelle, Danièle Léon, Xavier Maly, Lou Martin-Fernet, Ludovic Molière, Catherine Morlot, Anthony Paliotti, Pierre Timaitre, Gérald Weingand et la participation de Laureline Le Bris-Cep
Crédit photos : Simon Gosselin
Jusqu’au 21 décembre à l’Odéon – Théâtre de l’Europe
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