Théâtrorama

« La bête dans la jungle » est d’abord une nouvelle tardive d’Henry James écrite en 1903 et montée ici dans l’adaptation française de Marguerite Duras – qui en donna une première version scénique en 1962, puis en 1981. Mettant en parallèle dans le même spectacle « La maladie de la mort » de Marguerite Duras, Célie Pauthe, directrice également du CDN de Besançon, signe une mise en scène virtuose qui invite à une réflexion sur le sens de la vie, de la mort et de l’amour perdu.

Une attente infinie…
Dans le récit énigmatique d’Henry James, John Marcher et Catherine Bertram font connaissance. Ils s’étaient déjà rencontrés dix ans auparavant ; il pense s’en souvenir, elle s’en souvient très bien. John vit avec la conviction d’être promis à un sort mystérieux ; un événement extraordinaire, terrible peut-être. « Une bête », dit-il, fondra sur lui un jour. Ils scellent un pacte étrange : elle sera la compagne de cette attente. Leur vie s’écoule, immobile, inquiète : la mort survient, la “bête” ne se montre pas…

Sans entracte, dans un décor à peine modifié, Célie Pauthe enchaîne sur « La Maladie de la mort », transformant le spectacle en un diptyque où les thèmes se répondent, jouent le miroir à la fois dans l’écriture et dans le jeu. Ici, un homme paie une femme pour qu’elle passe des nuits avec lui. Il veut apprendre à aimer. Mais il n’y parvient pas. La jeune femme devient le révélateur de cette incapacité, ce manque… Elle le quitte sans l’avoir guéri. Un décor aux proportions imposantes, totalement ouvert sur le vide, comme un grand couloir, avant que ne soient installés quelques meubles qui vont apporter un semblant d’intimité. Dans cet intérieur lambrissé, baigné d’une lumière froide, les couloirs semblent ne conduire nulle part et le miroir joue la mise en abyme, reflétant à l’infini les silhouettes de ces personnages tendus vers l’attente jusqu’au vertige.

« La maladie de la mort » suit sans transition à la pièce précédente. Un ciel noir s’ouvre, un lit blanc collé à son miroir glisse vers l’avant-scène… L’espace, dominé par la présence imposante du lit, continue de dissimuler autant qu’il expose. Si dans la première partie du spectacle, chaque phrase semble lourde de non-dits, de sens cachés, de chausse-trapes dissimulés sous les dehors bienséants, dans la seconde partie , le propos est seulement en apparence plus direct. On y retrouve la même attente vaine de l’amour, la même froideur et l’effroi du désir que la jeune femme désigne sous le nom de maladie de la mort.
Célie Pauthe constitue ce second volet non comme un collage, mais comme le prolongement et la fusion de deux œuvres, échos l’une de l’autre. Le duo se transforme en trio. Valérie Dréville qui joue le rôle de Catherine dans la pièce de James devient une sorte de fantôme, de double qui continue d’exister dans la mémoire de John toujours en attente de sa vie, dans son incapacité d’aimer. Dirigés avec une extrême rigueur, tenant à distance les émotions (ce qui donne par moments une certaine monotonie et uniformité de ton aux deux personnages féminins), les trois comédiens jouent leur partition avec beaucoup de finesse.

Valérie Dréville (Catherine et la narratrice) offre une composition où se mêlent l’amour, la tendresse refoulée et la mélancolie. John Arnold (John et l’Homme), parfois léger, un brin précieux, se perd dans les méandres oniriques de ses effrois imaginaires jusqu’à parfois devenir comique en raison de son narcissisme exacerbé. La bête, que redoute John dans le premier spectacle, se transforme dans le second en jeune prostituée vivante et troublante (Mélodie Richard), à la limite de la provocation. Un carré noir en fond de scène comme une vision de l’amour/mort, le château disparaît gommé enfin par la projection vivante d’un bateau qui entre dans un port… Comme une terrible sentence ou comme une délivrance, sonne alors la dernière réplique « vous avez pu vivre cet amour de la seule façon qui puisse se faire pour vous, en le perdant avant qu’il ne soit advenu ».

La bête dans la jungle
D’après la nouvelle d’Henry James (adaptation française Marguerite Duras)
suivi de La maladie de la mort de Marguerite Duras
Mise en scène : Célie Pauthe
Scénographie/Costumes : Marie La Rocca
Avec John Arnold, Valérie Dréville, Mélodie Richard
Durée du spectacle : 2 h 20
Du 26 Février au 22 Mars 2015 au Théâtre de la Colline
Du mercredi au samedi à 22 h 30, Mardi à 19 h 30, Dimanche à 15 h 30

Tournée
2 & 3 Avril 2015 -Le Granit-Scène Nationale –Belfort

 

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