Entre silences et révoltes
Dans la lumière un peu froide, on ne voit que le drap blanc qui enveloppe un corps allongé sur un sofa. C’est le corps de Douce qui s’est suicidée et que son mari vient de découvrir. Adaptée d’une nouvelle de Dostoïevski et mis en scène par André Oumansky, Douce raconte au passé et de façon rétrospective l’amour tissé de silences et d’incompréhensions de Douce et de son époux.
Lui est un ancien officier chassé de l’armée et qui est devenu prêteur sur gages. Quand Douce, une jeune fille de 16 ans vient mettre en gage de malheureux objets sans réelle valeur, l’intérêt de l’homme pour la jeune fille est immédiat, mais chez cet homme plutôt rude, ce sentiment n’a rien de romantique. Quand il se met en tête d’épouser la jeune fille, il le fait par compassion, mais aussi par orgueil. Peu d’effusions dans leurs rapports, peu d’enthousiasme aussi, mais une sévérité,une rigidité du comportement du mari qui fait barrière aux rires et à la jeunesse de la jeune femme. Pauvre et jolie, elle a la chance de trouver un mari riche et se doit d’être reconnaissante. C’est une autre façon de faire des affaires.

Cet amour existe pourtant, mais entre silences et incompréhensions, il ne peut s’épanouir. Lui ne peut se libérer de la frustration d’une carrière militaire avortée, elle se sent limitée dans cette vie étriquée qui emprisonne sa gaieté. Ne trouvant pas d’alternative, Douce finit par se suicider.
La mise en scène d’André Oumanski prend le parti pris du souvenir, du flash back à travers le regard rétrospectif du mari. Il revient ainsi sur le face à face entre la jeune femme et son mari où les émotions retenues éclatent tout à coup sous la forme d’affrontements brefs et violents durant lesquels la jeune femme discrète met le doigt sur les échecs accumulés de son mari qui l’ont conduit à ce métier méprisable d’usurier.
Si le mariage révèle Douce, pour le mari, il est est une autre façon de gagner, de dominer. Elle se sent heureuse, pleine de bonne volonté et d’une sensualité à laquelle cet époux qui ne sait ni rire, ni comprendre la joie, ne peut répondre. Le suicide de sa femme amène enfin le mari à prendre conscience de son manque de vie et de sa crainte d’aimer.
Dans une lumière en clair-obscur, qui met à distance les personnages et l’histoire sur le plateau, chacun livre ses mystères par petites bouffées. Dans ce décor qui regroupe le bureau mal éclairé du courtier et l’appartement étroit y attenant, on a du mal à respirer. Dans un jeu tout en retenue et d’une sobriété remarquable, Nicolas Natkin et Anna Stanic rendent perceptibles les blessures invisibles, les élans retenus et les frustrations mêlées de colère réprimée.
Face à eux, Rose Noël et Maxime Gleizes apportent les rumeurs du monde, les possibles de vies que Douce et son mari ne vivront pas dans ce bureau clos sur toute expression de la joie. La mise en scène d’Oumansky tend le jeu comme un ressort qui finit par lâcher. Trouvant le ton exact, les comédiens donnent à entendre chaque nuance de ce texte court et intense, pour laisser s’exprimer les déchirures qui surgissent des silences et résonnent de mots étouffés.
- Douce
- D’après la nouvelle de Féodor DostoÏevski
- Adaptation et mise en scène : André Oumansky
- Avec Anna Stanic, Nicolas Natkin, Rose Noël et Maxime Gleizes.
- Durée : 1 h
- Vu à Paris au Théâtre Lepic (ex Ciné 13 Théâtre)
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