Théâtrorama

Double actualité pour Bertrand Blier. Après son rafraichissant « Bruit des glaçons » sorti au cinéma en août, le voici sur les planches pour sa seconde pièce. On y retrouve tous ses thèmes, articulés cette fois autour d’un duo féminin : la vaste connerie qui régit ce monde, l’actualité, l’amour, le sexe… Le tout dans un univers à la lisière du surréalisme. Dérangeant, exigeant… Indispensable surtout.

Le décor est froid, géométrique, presque austère, composé d’une vue nocturne urbaine. Chic et beau mais sans âme, déshumanisé. Le genre de lieu qui pue l’ennui. On s’attendrait à y voir débarquer Michel Bouquet annonçant à Philippe Noiret ses intentions de le « faire chier » (1). Deux femmes vont s’affronter. Avec violence d’où perce parfois une forme de tendresse, d’empathie. L’une est pleine aux as, l’autre carbure au picrate, seul compagnon pour lui réchauffer l’intérieur. L’une a de la moquette plein l’appartement, cette moquette épaisse « qui sent la fraude fiscale » (2). L’autre aussi mais dans la rue. Eh oui, les rues sont désormais recouvertes de ce confortable revêtement et nid à acariens. En un tournemain, leurs rôles s’inversent…

Interdit aux carpettes!
Blier a toujours eu de fracassantes entrées en matière. Deux répliques suffisent pour comprendre qu’il n’y aura désormais plus rien à comprendre, que tout va valser, que la réalité est là pour s’en prendre plein la gueule. Plaisir incommensurable de l’auteur-cinéaste-dialoguiste à la distordre à l’envi pour mieux lui décocher ses vérités, elles bien réelles. C’est un monde parallèle que celui de Bertrand Blier. Un immeuble de 20 étages occupé par seulement deux locataires, une station de métro vide et un comptable le bide transpercé d’un cran d’arrêt (3). Improbable mais pas impossible. Les lumières et la géométrie des décors confèrent cette irréalité. Mais au milieu, des êtres se débattent contre la réalité du moment. Blier parlait du sida en 1986 dans « Tenue de soirée ». Il évoque aujourd’hui cette fracture sociale « inventée » par Chirac et qui depuis ne cesse de s’élargir.
Toujours dans « Tenue de soirée » on entendait cette phrase : « Je me calmerai le jour où la surface de la planète sera propre. Le jour où les enfants pourront respirer de l’air pur », dans la bouche de Depardieu, un des nombreux miroirs parlants de l’auteur. C’est dire qu’il n’est pas prêt de la fermer. De jeter à la face d’un monde pourri sa nauséeuse réalité. De la gueuler, seul moyen de se faire entendre. Et quand Blier gueule, les oreilles chastes n’ont qu’à aller voir ailleurs. Certains n’hésiteront d’ailleurs pas à quitter la salle. La langue est imagée mais rude, capable de ce grand écart qui fait commencer une phrase par « Je vais t’enculer » et la terminer par « j’en fais un bouquet de fleurs » (encore dans « Tenue de soirée »). Ça parle cru, ça parle cul, bien sûr. Ça fornique sur la moquette (avec ou sans thibaude, cette couche isolante qu’on pose dessous et qui métaphorise ici cette dichotomie entre nantis et parias), ça se fait engrosser par un chien, ça se promène avec le Paris Turf imprimé sur le derrière, ça bouffe ses « loups » (comprenez : ses déjections nasales). Le monde est bien à cette image.

Mais comme Blier nous l’a montré dans son dernier film « Le Bruit des glaçons », rien n’est totalement désespéré. Entre désert culturel et vomis existentiel, il reste bien une petite place pour l’amour. L’amour paternel, l’amour filial, l’amour du théâtre, l’amour de la vie. Certes un peu appuyé, ce débordement de tendresse final laisse surtout libre cours à la prodigieuse Myriam Boyer. Habituée aux mots de Blier, elle les transcende, les bonifie encore. Nouvelle recrue dans le clan Blier, Anny Duperey peine davantage mais son expérience de la scène va rapidement avoir raison de ces légères hésitations. Patrick Préjean est quant à lui impeccable. On n’est vraiment pas désolé de s’être déplacé…

(1) dans « Les Côtelettes »
(2) dans « Tenue de Soirée »
(3) dans « Buffet Froid »

[slider title= »INFORMATIONS & DETAILS »] Désolé pour la moquette (site web)
Écrit et mis en scène par Bertrand Blier assisté à la mise en scène par Marie Sauvaneix
Avec Myriam Boyer, Anny Duperey, Patrick Prejean, Abbès Zahmani et Jean Barney
Décors : Patrick Dutertre
Costumes : Christian Gasc
Lumière : Marie-Christine Soma
Son : Sébastien Delrue
Depuis le 9 septembre 2010
Du mardi au vendredi à 21 heures, samedi 17h30 et 21 heures et dimanche à 16 heures
Durée : 1h30
Théâtre Antoine
Bd de Strasbourg 75010 Paris
Réservation : 01 42 08 77 71[/slider]

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