Ouvrant le Festival Les Théâtrales Charles Dullin, en Val de Marne avec Cendrillon, une de ses dernières créations, Joël Pommerat est un magicien qui continue à nous guider dans l’univers des contes.
Explorant le conte à la façon d’un voyageur, il visite les circuits connus pour ensuite nous perdre sur les sentiers de traverse et soulever les pierres du chemin. Son regard de plus en plus aiguisé nous incite peu à peu à transformer le nôtre, à interroger les apparences et, s’appuyant sur les arcanes du conte, à débusquer nos propres frayeurs d’enfant.
Baigné dans le clair obscur d’une lumière qui ne quitte pas les tonalités de bleu, un plateau nu conçu comme une boîte noire à la façon de celle des illusionnistes. Rien dans les mains, rien dans les manches. Les décors projetés ou réels surgissent de l’ombre dans laquelle les personnages se débattent avec leurs peurs, leurs angoisses et leurs interrogations.
Après Pinocchio et Le Chaperon Rouge, Pommerat revisite le conte de Cendrillon ou plutôt nous invite à écouter l’histoire de la jeune Sandra empêtrée dans un deuil impossible. Penchée sur le lit de sa mère mourante qui ne peut plus parler intelligiblement, la gamine croit entendre dans son dernier souffle une injonction qui ne supporte aucune dérogation : penser à elle constamment pour la garder vivante dans son coeur. L’enfant imagine un système impossible de contrôle du temps, des rituels invraisemblables pour s’efforcer de respecter ce qu’elle suppose être la dernière volonté de sa mère. Rien, ni personne ne l’en dissuadera.
Partant de ce postulat, l’auteur met en place toute une mécanique, qui, tout en usant de l’archétype du conte, raconte la toute puissance des mères et la veulerie des pères qui s’y soumettent.
…À la vérité du drame intérieur
En souhaitant se remarier, le père de la jeune Sandra, espère une ascension sociale pour lui-même. Il déménage dans la maison de sa future épouse et de ses filles, une maison en verre sur laquelle viennent s’écraser les oiseaux. Il se décharge de son autorité paternelle et refuse de mettre fin à l’enfermement morbide de sa fille écrasée à la fois par les charges de la maisonnée et le désespoir de la perte.
C’est dans l’ombre de sa chambre sans fenêtres, cernée de toute part par le crissement des bestioles qui grouillent dans le noir, comme protégée par l’obscurité, que la jeune fille nous montre qu’elle sait faire preuve de discernement, de clarté et d’humour.
Pommerat joue aussi sur les incontournables du conte ( le surnom de la jeune fille, la chaussure, le bal, la marraine – fée…) pour mieux s’en amuser. Sandra, après être devenue Cendrier pour la famille marâtre, est nommée Cendrillon par le prince charmant, ce prénom devenant ici symbole de renaissance et d’amour. Cendrillon ne perd pas sa chaussure, mais reçoit en cadeau une des chaussures du prince, la fée initie la jeune fille aux principes du féminisme….
Jouant sur les effets de la boîte noire, Éric Soyer crée dans sa scénographie et avec ses lumières une scène poreuse qui nous fait passer du dedans au dehors, de la chambre obscure de l’enfant au palais illuminé du roi, de l’intimité de la maison à la cour royale. Les lumières absorbent le réel pour nous tirer vers l’onirique et le fantastique du conte. Pas de heurt, ni de rupture dans cette mise en scène entre le son, les costumes et les scènes filmées. L’ombre surgit de la lumière, la parole du silence et le mouvement de l’immobilité, comme un tout organique qui parle en secret au cœur de chaque spectateur. Dans une fluidité des corps, les acteurs se laissent porter par cette quête de l’invisible. Loin d’une ascension sociale fondée sur une moralité de bon aloi chez Perrault ou Grimm, nous sommes conduits chez Pommerat au cœur de l’émotion et vers la conscience du drame intérieur.
[note_box]Cendrillon
D’après Charles Perrault
Texte et Mise en scène : Joël POMMERAT
Scénographie et lumière : Éric Soyer
Costumes : Isabelle Deffin
Son : François Leymarie
Avec Alfredo Canavate, Noémie Carcaud, Carolie Donelly, Catherine Mestoussis, Déborah Rouach et la voix de Marcella Carrara.
Durée : 1h 20[/note_box]
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