Et si le big bang n’était ni plus, ni moins qu’un bug de l’univers à un moment n de sa création ? Et si le monde n’était qu’un rêve dans lequel, pauvres personnages en déshérence, les humains s’agitaient vainement en quête de hauteur ? En écrivant Bug, Jean-Louis Bauer et Philippe Adrien tournent le public en bourrique. Chaque action est un abîme de réflexion et la vision hilarante d’un monde qui se cherche et ne se trouve pas.
Délire sur la toile… Charline et Arthur, deux jeunes informaticiens brillants et lauréats d’un concours international de logiciels s’apprêtent à recevoir leur prix. Le logiciel exceptionnel qu’ils viennent de créer leur assurera, pensent-ils, la richesse et la notoriété. Mais au moment de le présenter devant le grand public, un bug énorme (du monde ? De l’ordinateur ? de leur cerveau ?…) les transforme en chimpanzés. À la recherche du programme défectueux, les voilà englués dans les méandres de la toile, dans le tourbillon d’un monde à l’envers et en quête d’un retour en pays d’humanité…
Sur leurs pas, nous passons des mondes virtuels à une réalité emmêlée. Franchissant le temps et les espaces, les époques s’entrechoquent. Comme dans un train fantôme, les vivants côtoient les morts, les célébrités, les anonymes. Nous croisons Houellebecq et Bernard Pineau, MIchaël Jackson et Jean Genêt. D’Auschwitz au Rwanda en passant par une soirée huppée au Château de Versailles, notre sens de la logique (informatique ou pas) est mis cul par-dessus tête.
Dès l’entrée dans la salle, une voix monocorde dévide une litanie de noms. Le vôtre en fait partie, vous tournez la tête. En réalité, personne ne vous appelle. Impliquant le public, tout en jouant délibérément sur la séparation de la salle et de la scène, derrière un tulle, nous sommes embarqués sans boussole dans les méandres de la toile, dans un monde sans limites. Les personnages et les situations naissent de la lumière comme d’un clic de souris, de façon tout à fait aléatoire..
D’un espace et d’un temps à l’autre, les interrogations surgissent. Où en sommes-nous ? Que s’est-il passé depuis « la simplicité » de la philosophie cartésienne ? Que sommes-nous devenus après ce que l’on a appelé la mort de Dieu, la colonisation, la Shoah ou le génocide du Rwanda ?
Du dérèglement à la dérégularisation
Peu à peu, le texte de référence disparaît pour laisser la place à des dysfonctionnements bénins, des lapsus, des erreurs de mots comme des fautes de frappe surgissant dans la saisie des textes, comme la métaphore d’un monde qui se dérègle.
L’espace vide du début de la pièce se transforme. Le plancher de la scène incertain et mobile devient un lieu de rencontres et d’accidents improbables. Dans un jeu constant de miroirs virtuels, le texte se met à bégayer, remplacé par un flot d’images qui jouent sur la distorsion, dans lesquelles se débattent les personnages d’une histoire boursouflée. Transformés en fantômes, ils courent derrière la réalité de leur propre existence.
L’humanité et l’animalité, l’humain et la technique, tout se mélange. La jouissance pulsionnelle et l’avidité, conduisant à la levée des tabous, finissent par abolir le sens et par nourrir uniquement un système devenu incontrôlable.
« Les provocations du monde réel nous ont donné envie de tirer dans le tas » dit Philippe Adrien, – également metteur en scène- de son spectacle. L’ordinateur quantique, qui gouverne le monde qu’il imagine avec Jean-Louis Bauer, rend compte de tous les bugs essaimés dans notre civilisation à intervalles réguliers, considérant Auschwitz comme le bug inaugural de notre XX° et XXI° siècle.
Face aux discours clean, cool et soft de nos publicitaires et de nos politiques qui se proposent d’alléger tout ce qui nous pèse, Bug est une pièce déjantée qui nous laisse espérer qu’advienne un accident de logiciel, ce qui nous permettrait de nous reconnecter à la vraie vie. Face à un monde calibré d’informaticiens « quanteurs », Bauer, Adrien et leurs comédiens fous choisissent le chemin buissonnier des conteurs, c’est-à-dire, celui des « colporteurs de métamorphoses ».
[note_box]Bug
De Jean-Louis BAUER et Philippe ADRIEN
Mise en scène : Philippe ADRIEN
Avec Alain Gautré, Olivier Hémon, Manon Kneusé, Katarzyna Krotki, Bernadette Le Saché, Pierre Lefebvre, Guillaume Marquet, Laurent Ménoret, Tony Mpoudja, Juliette Poissonnier, François Raffenaud, Jean-Charles Rieznikoff, Joe Sheridan
Lumières: Pascal Sautelet – Vidéo : Olivier Roset – Décor : Jean Haas[/note_box]
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