Très agréable divertissement qui ne met pas les problèmes sociaux en avant sans pour autant les oublier, ce « Bistro » jette un pont entre deux pays amis, deux cultures. Nostalgie et chanson se payent la part belle dans cette histoire intemporelle. Santé !
Il faudrait parfois se contenter de l’affiche et de ses promesses pour venir voir un spectacle. Entrer dans la salle en toute innocence, en toute ignorance et se laisser aller. Un peu comme on entre dans un bar et qu’on offre à l’imprévu toute emprise sur soi. C’est aussi souvent ce qu’il faudrait faire avec le théâtre. Avec le théâtre tchekhovien plus encore…
Nous ne sommes pas chez Tchekhov mais l’affiche laisse supposer tout de même une prise directe avec l’univers du dramaturge. Une branche de cerisier surplombant le titre « Bistro ! » dont le « r » retourné devient le « ia » de Vania. Le point d’exclamation quant à lui transforme un débit de boisson bien français en exhortation à la rapidité, le mot russe signifiant « vite ». Un pont est lancé entre les deux cultures qui se sont si longtemps interpénétrées.
Un bar va fermer ses portes pour être détruit et laisser la place à un parking. De la cerisaie tchekhovienne où se retrouvaient une ultime fois Lioubov et les siens, ne reste qu’un exemplaire de cet arbre fruitier, emblème parmi les emblèmes de la Russie et faisant l’objet de toutes les attentions. Trois femmes : Jo, Camille et Anne-Rose. Presque trois sœurs qu’unissent d’indéfectibles liens. Elles s’apprêtent à démonter le lieu après l’ultime fête d’adieu. Moment douloureux ? Même pas. Plutôt une nostalgie teintée d’une résignation tellement russe. Mais Cupidon vient se mêler au déménagement et s’apprête à faire un carton…
Une douce folie
Les Russes adorent chanter, comme chacun sait. Mais on revient vraiment en France pourtant dès que les comédiens entonnent les intermèdes musicaux du spectacle. De jolies chansons aux textes pertinents vont en effet ponctuer les dialogues et qui rappellent l’univers des films de Jacques Demy. Cette récréation musicale s’insère à merveille au sujet, à sa folie et lui confère une touche résolument nostalgique et gaie à la fois. Chaque personnage est ainsi joliment cerné, de l’amoureux transi et d’une touchante gaucherie qui n’ose même pas le bouche-à-bouche du secouriste à la pétillante aînée au passé pourtant lourd. Jamais caricaturaux mais avec juste ce qu’il faut de folie (qu’il s’agissent de folie amoureuse ou de folie tout court) et d’exubérance pour ne pas non plus en faire des messieurs ou mesdames Toutlemonde.
Sans héroïsme, avec juste ce qu’il faut d’ancrage dans la société d’aujourd’hui, Anne Bourgeois propose une mise en scène tout en finesse. Et les comédiens défendent avec attachement ce texte intelligent, entre folie russe et réalisme français, qui sans mièvrerie ni condescendance, mais avec une réelle humanité, ouvre tout en ne bougeant pas de ce lieu déjà relégué à hier un horizon vers demain. D’un ciel bleu comme celui de l’affiche. Peut-on faire plus tchekhovien ?
[note_box]Bistro !
De Sylvie Audcoeur et Marie Piton
Mise en scène : Anne Bourgeois
Avec Sylvie Audcoeur, Marie Piton, Alexis Desseaux, Michèle Simonet
Et en alternance Patrice Peyriéras, Sébastien Debard, Benoît Urbain
Musique : Patrice Peyriéras
Décor : Edouard Laug
Costumes : Alexandra Konwinski
Lumière : Laurent Béal[/note_box]
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