Théâtrorama

Bettencourt boulevard ou une histoire de France

Christian Schiaretti est un familier des pièces de Michel Vinaver. Après avoir mis en scène « Les Coréens », « Aujourd’hui » et « Par-dessus bord », il y revient, dans une mise en scène maîtrisée, avec « Bettencourt boulevard », une pièce en « trente morceaux » pour démêler les fils de cet imbroglio politico-médiatique et souvent comique que l’on nomme en raccourci l’affaire Bettencourt.

S’emparant de cette matière qui imbrique conflit familial, hautes sphères politiques et économiques, avec « Bettencourt boulevard ou une histoire de France », Vinaver crée une sorte de télescopage entre la réalité d’une histoire de la société française – les personnages existent et portent leurs vrais noms, l’histoire est basée sur des témoignages et des articles de presse, et le théâtre de boulevard avec ses rebondissements, ceux qui tirent les ficelles et ceux qui sont cocus. Loin d’un théâtre documentaire, l’humour est acéré, l’ironie mordante et l’histoire est celle des déboires d’une famille juste un peu plus riche que les autres.

Morceaux d’histoire en forme d’affaire(s)

Dans un décor quasi abstrait composé de panneaux de couleur, des fauteuils blancs identiques, aux dossiers rigides, sont disposés sur tout le plateau. La circulation se fait comme dans un labyrinthe, évoquant en cela les dédales compliqués de cette affaire. La belle idée de Vinaver est de mettre en regard les origines des descendants de la famille Bettencourt fondées sur le socle tragique de l’Histoire.

D’un côté, Eugène Schueller, père de Liliane, qui ne cache pas ses sympathies pour l’extrême droite, avec un sens aiguisé des affaires, démarre modestement comme représentant de produits cosmétiques et crée l’Oréal avec le succès que l’on connaît. De l’autre, le rabbin Robert Meyers, grand-père de l’époux de Françoise, fille unique de Liliane Bettencourt, déporté et gazé à Auschwitz. Comme en surplomb de « l’affaire », installés sur une estrade en fond de scène, les ancêtres éclairent par leur parole des faits qui entrelacent la réalité d’hier et celle d’aujourd’hui, comme une continuité.

En ouverture, tel un coryphée qui présente l’action, un chroniqueur (Clément Carabédian) expose les événements, présente un par un les personnages et nous guide avec humour dans les méandres de l’histoire. Le chœur dessine alors les hiérarchies, les transactions secrètes, l’intimité d’une société qui se partage entre gens d’en haut, (juristes, politiciens, hauts fonctionnaires) quasi intouchables où l’argent régule les relations et gens d’en bas, au service des premiers, qui espèrent grappiller quelques avantages financiers ou quelque pouvoir. Au centre, Liliane Bettencourt (magnifique Francine Bergé) à la fois solaire, inaccessible, séductrice et totalement perdue entre fantasme et réalité.

L’argent, le pouvoir et ses effets, mais aussi la haine dans ses manifestations extrêmes donnent une dimension tragique au manque d’amour et à la solitude de ces gens à qui rien ne semble manquer. L’histoire se déroule entre un quotidien parfois sordide et la démesure des pouvoirs possibles grâce à l’argent qui coule à flots et circule à tous les niveaux.

Assumant la réalité des personnages et n’hésitant pas à en outrer certains caractères, la vingtaine de comédiens – il faudrait tous les citer – forme un chœur solidaire. Jérôme Deschamps apporte sa drôlerie à son interprétation de Patrice de Maistre face à un Didier Flamand énigmatique dans son rôle de François-Marie Basnier.

Jouant avec le temps plus qu’avec la chronologie, Vianver zoome sur les détails, propose une arborescence des faits qui donne un nouveau sens aux événements. Chaque morceau -et non scène – est aimanté par un autre sans respect de la linéarité. La mise en scène de Schiaretti joue à la fois sur le rythme et la musicalité des mots, sur la proximité et la mise à distance des faits. Il nous parle aussi de la schizophrénie de cette histoire mise en jeu par le dédoublement des personnages et la répétition des schémas : deux ancêtres, deux filles uniques, deux héritiers…Et puis, en toute fin, cette question incongrue « qu’est-ce que le théâtre vient faire dans cette histoire ? Telle est la question ». Une façon comme une autre de botter en touche et de renvoyer dos à dos la réalité et ce qu’on en raconte.

Bettencourt boulevard ou une histoire de France
De Michel Vinaver
Mise en scène : Christian Schiaretti
Scénographie : Christian Schiaretti &Thibaut Welchlin
Avec : Francine Bergé, Stéphane Bernard, Clément Carabédian, Jérôme Deschamps, Philippe Dusigne, Didier Flamand, Christine Gagnieux, Damien Gouy, Clémence Longy, Élisabeth Macocco, Clément Morinière, Nathalie Ortega, Gaston Richard, Juliette Rizoud, Julien Tiphaine.
Danseurs : Dimitri Mager et Perre Pietri
Et les voix de Bruno-Abraham Kremer et de Michel Aumont
Durée : 2 h
Crédit photo : Elisabeth Carecchio
Du mercredi au samedi à 20 h 30 – Mardi à 19 h 30 – Dimanche à 15 h 30

Jusqu’au 14 Février au Théâtre de la Colline

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