1830 – Un siècle explosif
1830. 26, 28, 31 ans, ce sont les âges respectifs de George Sand, Victor Hugo et Honoré de Balzac cette année-là. La France est en pleine effervescence politique. Balzac écrit « La peau de chagrin » et ne sait pas encore qu’il invente le réalisme. Hugo est en pleine bataille d’Hernani, met fin à la suprématie des classiques et impose le Romantisme, George Sand vient d’affirmer son indépendance et de quitter son mari.
Amoureuse des textes, après avoir adapté et mis en scène avec succès « Les Misérables », Manon Montel ajoute à son talent de metteure en scène et comédienne, celui d’auteure. Se penchant sur les correspondances de Balzac, Hugo et George Sand, insérant des extraits de leurs œuvres dans sa pièce, elle tricote un texte enlevé, plein de tendresse et bouillonnant. Un petit bijou de finesse qui nous rappelle que ces immenses écrivains – que l’école a tendance à embaumer – ont été des jeunes gens tourmentés, rebelles et inventifs, engagés dans leur temps avant de devenir les chefs de files de toute une époque.
Trois acteurs mettent leur talent généreux au service de ces trois génies de la littérature : Stéphane Dauch qui joue le rôle d’un Honoré de Balzac en robe de chambre, fait vaciller la statue du génie en montrant sa fragilité, sa méfiance du monde extérieur et sa ferveur dans le travail. Thomas Marceul dans le rôle de Victor Hugo fend l’armure du provocateur politique pour laisser entrevoir la douleur totale du père qui vient de perdre sa fille ou de l’homme amoureux. Manon Montel campe une George Sand déterminée, indépendante et toute en douceur, consciente de ses combats mais qui, contrairement à ses amis ne sacrifie rien de ses valeurs intimes à son œuvre littéraire.
Combats politiques et passions amoureuses
Dans sa mise en scène Manon Montel procède par touches et allusions sur un plateau nu et avec un minimum d’accessoires. La scénographie structure trois espaces : on passe de la maison de Sand, à Nohant, à l’appartement parisien et bohème de Balzac, puis à la tribune politique de Hugo, passant sans transition de l’écrit à la vie. Une table pour chaque écrivain, une bougie, un journal de l’époque. Balzac ne sort jamais de chez lui, Hugo court du théâtre où se joue « Hernani » à l’Assemblée et George Sand, loin de l’agitation parisienne s’exhibe en pantalon – à une époque où cette tenue était un tantinet scandaleuse – prônant le mariage d’amour et dénonçant les inégalités sociales.
Des anecdotes soulignent la rivalité et l’admiration qui unit Balzac et Hugo. Leur correspondance est émaillée de mots d’esprits, de piques railleuses et bienveillantes tout à la fois. Balzac qui a une vraie tendresse pour George Sand l’appelle « Mon George » dans ses lettres. Celle-ci a eu une relation uniquement épistolaire avec Victor Hugo même si l’auteure se permet de fantasmer sur une rencontre éventuelle.
Tous les trois sont écrivains, travaillent beaucoup – 17h par jour pour Balzac – mais s’inscrivent aussi à la charnière d’une époque de bouleversement et de changement qui débouchera sur l’avènement de la République. Entre Balzac qui défend la monarchie sans sortir de chez lui et Hugo qui, en devenant pair de France, se trouve à la tête de tous les combats, George Sand affirme sa défense des femmes et des pauvres, de sa résidence en province.
Balzac, amoureux exclusif de la Comtesse Anska qui vit en Russie est certain de son génie littéraire et le clamant haut et fort avec un rien d’ostentation, se moque gentiment de George Sand qui « tombe amoureuse comme on tombe d’une chaise ». Hugo, choyé des foules, tombe amoureux de Juliette Drouet tout en trouvant un arrangement avec sa femme Adèle qui a une aventure avec Sainte Beuve.
L’intime s’entrelace avec les combats politiques et sociaux alors que la presse est censurée et que gronde les révoltes populaires. On passe de la monarchie à la République, mais « les rois commandent aux nations pendant un temps donné, l’artiste commande à des siècles entiers » affirme Balzac. Hugo et lui, conscients de leur talent pressentent l’importance de leur œuvre à venir. Idéaliste et éternelle amoureuse, George Sand s’en défend en privilégiant la vraie vie plutôt que le factice de la littérature. Autour d’eux bouillonne aussi ce XIX° siècle explosif qui a vu naître bien des talents : Delacroix en peinture, Dumas, Musset, Lamartine en théâtre et en littérature, Liszt et Chopin en musique.
Une bien jolie pièce qui souligne que ces trois géants avaient transcendé la rivalité et les petites querelles au quotidien affirmant que « leurs barricades étaient faites d’espoir et de progrès ». Féministes, républicains, monarchistes, mais avant tout humanistes, c’est ce combat-là qu’ils ont gagné et nous ont transmis.
1830 : Sand, Hugo, Balzac tout commence
Écriture et Mise en scène : Manon Montel
Assistante : Stéphanie Wurt
Avec Stéphane Dauch, Thomas Marceul, Manon Montel
Costumes : Patricia de Fenoyl
Lumière : Arnaud Barré
Durée : 1 h 15
Crédit photos : Xavier Cantat
Jusqu’au 15 Janvier 2019 au Théâtre Esaïon
Les lundis et mardis à 21 h
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