Guérisseur – Mise en scène : Benoît Lavigne
« Entrez, entrez Mesdames et messieurs pour cette seule soirée, venez voir le
« fantastique » Frank Hardy, qui guérit par l’imposition de ses mains »
Sillonnant les villages reculés d’Écosse et du Pays de Galles, avec sa compagne Grace et son imprésario Teddy, Frank Hardy assure chaque soir le spectacle de ses dons exceptionnels dans des salles de spectacle miteuses. Il recourt souvent au whisky pour calmer ses angoisses et les questions incessantes qui tournent dans sa tête. Un jour, ses pas le ramènent vers l’Irlande, le pays de son enfance. Dans un pub de Ballybeg, la vie des trois saltimbanques va soudainement basculer…
Un don exceptionnel
Créé en 1986 au Lucernaire par Laurent Terzieff, sous le titre de Témoignages sur Ballybeg et jamais rejoué depuis, le texte de Guérisseur, a été écrit en 1979 par l’auteur irlandais Brian Friel, décédé en 2015 et souvent comparé à Tchékhov. « Comme lui, souligne Benoît Lavigne qui met la pièce en scène, Friel met l’humain au cœur de son théâtre et nous raconte avec tendresse ces blessés de l’existence, ces médiocres qui pour vivre se réfugient dans le mensonge et l’illusion ».
Capter l’imagination et croire à l’impossible
C’est ce que fait chaque soir le grand Francis Hardy que l’on dit guérisseur de son état. Cette affirmation le renvoie à son anxiété permanente et c’est dans le whisky qu’il trouve sa légitimité avant chaque séance.
Pas de réelle intrigue, pas de dialogues pour ce texte à la première personne et qui prend la forme de quatre monologues dits tout à tour par les trois personnages, s’adressant au public : Frank le guérisseur, Grace sa femme – ou sa maîtresse ? – et Teddy l’imprésario. De fait, chaque soir il s’agit d’assurer le spectacle dans l’attente d’un succès qui ne s’est produit réellement qu’une fois.
Sur un plateau nu entouré de chaises, avec en milieu de scène une banderole qui annonce la réunion, les trois personnages – Bérangère Gallot, jouant le rôle de Grace et Hervé Jouval celui de Teddy – viennent tour à tour raconter leur version de cette histoire incroyable : celle d’un Irlandais doué du pouvoir mystérieux de guérir.
Pour Thomas Durand ce soir-là (qui joue le rôle de Hardy en alternance avec Xavier Gallais), tout est dans le regard, la posture assurée du corps et l’affirmation. Les souvenirs divergent dessinant les désillusions, les ratés de la vie, les négligences et les violences, l’illusion surtout d’un changement ou d’un miracle toujours possible. Derrière le récit apparaît en creux l’univers d’un pays rugueux, où les mots s’accrochent à des noms de villages en train de mourir. Tous mentent et tous disent une vérité, la leur. Le langage devient un moyen pour continuer d’exister dans une communauté prête elle aussi à s’effondrer. Sillonner le pays, c’est se donner l’illusion de vivre alors qu’on ne fait que survivre, c’est résister à la perte et à l’exil intérieur.
Charlatan ou artiste ? Homme de pouvoir ou capteur de l’impossible ? Comment sortir du doute perpétuel quand tout le monde semble croire en vous ? Guérisseur est une pièce étrange, difficilement classable et aux contours impalpables. Tout n’est qu’évocation, et ne tient que par le pouvoir des mots et la voix des acteurs. Une fois la lumière revenue, l’histoire qu’on vient de nous raconter ressemble à une sorte de rêve collectif d’où n’émerge que le souvenir de terres celtiques noyées dans la pluie et le brouillard. Un pays âpre, empreint de mysticisme et prêt à croire à n’importe quelle légende.
Guérisseur
De Brian Friel
Texte français d’Alain Delaye
Mise en scène : Benoît Lavigne
Avec Xavier Gallais ou Thomas Durand, Bérangère Gallot, Hervé Jouval
Collaboration artistique : Sophie Mayer
Décor et Costumes : Tim Northam
Musiques : Michel Winogradoff
Lumières : Denis Koransky
Durée : 1h25
Crédit photos : Karine Letellier
Jusqu’au 14 avril au Lucernaire
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