Quand les secrets de famille deviennent étouffants, il faut remonter le fil d’Ariane pour dénouer les cordes vocales…
Du théâtre sociologique qui décortique les comportements en plaçant les personnages dans des situations qui façonnent leurs réactions. Après s’être attachée, dans sa précédente pièce, au conditionnement sociétal de l’identité féminine, Pauline Bureau et sa compagnie La Part des Anges, élargissent leurs recherches en s’intéressant à l’héritage familial à travers trois générations. Une épopée fantaisiste qui croise les époques et les parcours de vie.
L’enquête généalogique commence dans les années 60. Annie, femme de marin qui attend patiemment que son mari revienne à bon port, se retrouve abandonnée avec sa fille. Hélène grandit donc sans père mais avec la rage de réussir. On se retrouve dans les années 80, où elle passe brillamment, et enceinte jusqu’aux yeux, sa soutenance de thèse d’une grande école. En 2010, les branches se dédoublent pour suivre l’histoire d’un businessman désabusé, expatrié à Shanghai, et d’Aurore, la fille d’Hélène, qui commence une carrière de chanteuse.
La vie coulerait de source finalement, sauf que, point de départ de la pièce, Aurore perd la voix pendant un de ses concerts. Un élément déclencheur qui va être à la source de bouleversements qui se répercuteront sur tous les personnages. Elle se jette à l’eau pour découvrir la vérité, grâce notamment à la consultation d’un psychothérapeute qui opère une maïeutique progressive. Le silence ouvre la voie de la réflexion. Une quête presque initiatique qui plonge le public dans un univers onirique comme une légende des temps modernes.
Suivre la voix du cœur…
Pièce après pièce, Pauline Bureau imprime son style comme une griffe de grand couturier qui marque ses contemporains. Son travail, en collaboration avec les sept comédiens au casting, saisit l’air du temps pour offrir sur scène une vision inspirante. Derrière les secrets de famille se cachent, une fois de plus, des histoires de femmes qui subissent leur époque. Du code Napoléon encore valide dans les années 60 qui leur interdit de posséder un compte en banque et ne leur donne pas voix au chapitre, aux années 80 où elles se transforment en superwoman censée mener vie professionnelle et personnelle d’une main de maître sans se plaindre, à la période actuelle où le désenchantement n’empêche pourtant pas Aurore de s’accrocher à son micro, les trois portraits de femmes sont ciselés au scalpel de la metteur en scène pour laisser transparaître les failles et l’émotion.
Les personnages secondaires deviennent des points de repères dans leur quête, du psychanalyste au futur prince charmant d’Aurore, irrésistible Nicolas Chupin en sirène de Walt Disney. L’espace se découpe comme une ligne du temps qui parfois se rejoint. Chaque scène est une tranche de vie, une pièce du puzzle qui se reconstitue progressivement, jusqu’à la pièce finale qui aboutit à Shanghai et qui reste un peu en dehors du jeu, sur un espace surélevé. La musique est le reflet d’une époque et rythme Sirènes de bout en bout. Marie Nicolle, qui s’était déjà distinguée dans Modèles, récidive avec talent dans ce rôle de chanteuse. Le public adhère à cette saga familiale qui mêle habilement les genres, pour dessiner les contours d’une nouvelle vague théâtrale.
Sirènes
Texte et mise en scène de Pauline Bureau (en collaboration avec l’équipe du spectacle)
Avec des fragments de textes extraits de L’Occupation d’Annie Ernaux – éditions Gallimard et du Théâtre d’Emma Santos d’Emma Santos – éditions Des femmes. Les histoires de Sirènes sont empruntées à Homère, Andersen et Walt Disney. Les chansons ont été écrites par Marie Nicolle à l’exception de la Chanson Triste, écrite par Benoîte Bureau.
Avec Philippe Awat, Yann Burlot, Nicolas Chupin, Géraldine Martineau,
Vincent Hulot, Marie Nicolle, Anne Rotger, Catherine Vinatier
Dramaturgie Benoîte Bureau
Scénographie Emmanuelle Roy
Collaboration artistique et vidéo Gaëlle Hausermann
Composition musicale et sonore Vincent Hulot
Lumières et régie générale Jean-Luc Chanonat
Costumes Alice Touvet
Crédit Photo : Pierre Grosbois
Jusqu’au 6 décembre au Théâtre du Rond-Point
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