Théâtrorama

Honneur à Notre Élue de Marie Ndiaye

Marie Ndiaye refait le vote… Soir d’élection municipale, dans une ville portuaire. Résultats sans appel : 17 318 pour le vainqueur, 2 101 pour le vaincu. Le perdant s’appelle L’Opposant, la gagnante – Notre Elue. Notre Élue a gagné une fois de plus comme toujours depuis plusieurs mandats. Et pour cause. Le centre-ville était sinistre, il est devenu pimpant ; des équipements sportifs ont été créés ; des aides soutiennent les plus pauvres. Bref, dans cette ville on est plus heureux, depuis que – Notre Elue en est la maire.

Nouvelle opportunité pour l’Opposant, rétamé trois ans plus tôt, de prendre sa revanche à trois mois d’un nouveau mandat électoral. Figure exemplaire, Notre Élue s’impose comme un modèle absolu de probité. Il est temps de passer à l’action et de déboulonner la statue. Guidé par les conseils de ses spécialistes en communication, on va débusquer le « truc franchement dégueulasse » qui changera la donne. Et le peuple fera son choix…

Honneur à Notre Élue de Marie Ndiaye

De la vertu et des failles en politique

En ces temps de questionnement sur les limites, les hauts et les bas de nos démocraties « Honneur à Notre Élue » de Marie Ndiaye interroge les manipulations, les parts d’ombre des systèmes de représentation politique. Entre drôlerie corrosive, rêverie et fantasme, Frédéric Bélier Garcia, familier de l’univers de l’auteure, en assure la mise en scène. Rayonnante et puissante, dotée en même temps d’une vulnérabilité extrême, perdue entre crainte et assurance, Isabelle Carré joue le rôle de Notre Élue. Face à elle, Patrick Chesnais interprète un Opposant rusé, machiavélique, sombre et pourtant lui aussi à la limite de la fragilité.

Toute la pièce tourne autour de la victoire de l’élection. Mais à quelques mois d’une échéance électorale, comment pulvériser un candidat porté aux nues par ses administrés ? Un de ceux qui revendique la vertu et la force morale ? Où trouver la faille qui anéantira sa carrière pour vous permettre d’accéder enfin après maints échecs au poste convoité ? En dénonçant un mensonge ? Un faux pas professionnel ou institutionnel ? Non il est nécessaire d’aller plus loin, plus profond dans l’intimité la plus secrète de l’ennemi – car l’autre est forcément votre ennemi – pour l’obliger à la honte et au renoncement qui l’anéantira.

Honneur à Notre Élue de Marie Ndiaye

Machiavélique Marie Ndiaye

La victoire sera alors à vous. En faisant réapparaître de vieux parents (duo de choc cruel formé par Jean-Paul Muel et Chantal Neuwirth) qui prétendent avoir été abandonnés du jour au lendemain par leur fille, l’Opposant déclenche le mécanisme qui va jeter l’opprobre sur Notre Élue réputée pour sa transparence et sa droiture. Chahutée jusque dans sa propre famille, celle-ci ne rompt pas, continuant à affirmer sa responsabilité et acceptant avec une égale dignité, la trahison de certains de ses amis politiques. Restant fidèle à elle-même et à ses principes, Notre Élue vaincue n’a rien perdu de sa force d’âme. La victoire de l’Opposant n’en est que plus amère.

Au réalisme et au pragmatisme des situations, Marie Ndiaye oppose la fantaisie et une forme de « grotesque fantastique » qui malmène quelque peu les raideurs des symboles de la République avec ses rituels et ses éléments de langage. Les personnages sont juste désignés par des noms génériques : l’Opposant, Notre Élue, le vieux, la vieille, la mari, les enfants…Si certains ont un prénom, ils sont fixés à leur tour dans le rôle de la traîtresse, du coupable…

Chacun dans ce contexte, sous les ors de la République et d’un décorum écrasant deviennent les représentants d’une « humanité drue devenue symbole ». La fable devient peu à peu une sorte de conte cruel et se transforme en un récit extravagant qui met à mal la construction républicaine du « vivre ensemble ». À la corruption, la magouille, Notre Élue oppose l’intégrité et ce postulat de base est tout aussi insoutenable.

La pièce souligne en filigrane la fascination de la corruption, de la volonté de puissance quelle que soit sa forme. Pourtant loin de décider de la direction à suivre, sans condamner, entre drôlerie et angoisse, le propos souligne surtout la fragilité de nos espoirs, de nos craintes et de nos interrogations. « Il est 20 h un dimanche soir d’élections, on connaît ce théâtre à quelque distance de sa défaite, de sa victoire… »

Honneur à Notre Élue
De Marie Ndiaye
Mise en scène: Frédéric Bélier-Garcia
Scénographie : Chantal Thomas
Avec Isabelle Carré, Patrick Chesnais,Jean-Charles Clichet, Claire Cochez, Romain Cottard, Jan Hammenecker, Jean-Paul Muel, Chantal Neuwirth, Agnès Pontier, Christèle Tual et deux enfants.
Lumière : Roberto Venturi
Son et Création musicale : Sébastien Trouvé
Vidéo : Pierre Nouvel
Costumes : Pauline Kieffer
Le Chœur des jeunes du Conservatoire à rayonnement régional d’Angers dirigé par Christine Morel
Crédit photo: Pascal Victor / Artcom press
Durée : 1 h 50

Jusqu’au 26 mars au Théâtre du Rond Point

 

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