Théâtrorama

À l’avant scène un tas de foin, une fourche. En fond de scène, à jardin, un salon modeste, à cour une table et des chaises rustiques, de celles que l’on trouve à la campagne…Entre ces quelques éléments de décor, le plateau nu qui va s’animer en fonction des lumières et s’enrichir d’autres espaces : un tribunal, une étable, la nature…

Un homme entre, une voix off nous dit qu’il s’appelle Sébastien et qu’il est paysan. Il s’emploie à remuer le foin, de plus en plus vite, avec semble-t-il, une rage qui se décuple au fur et à mesure. Geste simple du paysan au travail, geste répétitif qui s’amplifie jusqu’à la grâce…

Une mise en scène et une création lumière des plus abouties, une bande son qui ouvre les espaces, des acteurs remarquables et engagés, la pièce, adaptée d’un documentaire d’Édouard Bergeon sorti en 2012 et mise en scène par Élise Noiraud, est un précipité de talents. En quelques images fortes, dans une scénographie sans fioritures, elle donne un cadre à la fois précis et très poétique à cette histoire qui raconte la réalité sociale, le quotidien souvent méconnus (et loin des fantasmes de retour à la terre) de ceux qui sont devenus cultivateurs, agriculteurs après avoir été, du Moyen-Âge jusqu’à la première moitié du XX° siècle, des paysans.

Tragédie rurale
Dans le sud de la France, Sébastien a pris la suite de son père et porte à bout de bras la ferme familiale. L’exploitation est au bord du gouffre. Sébastien croule sous les dettes car sous le coup des nouvelles lois du marché, le lait qu’il produit se vend moins cher. Le fait que son père lui répète chaque jour qu’il ne fera jamais aussi bien que lui, n’arrange guère les choses. Entre le sauvetage de sa vie personnelle et celui de la ferme, entre pressions financières et pressions familiales, il y a de quoi péter un câble.

Élise Noiraud fait de sa pièce une chronique paysanne qu’elle qualifie de tragédie rurale. Prenant en compte à la fois les enjeux socio-économiques et les enjeux personnels, elle construit un texte qui fait alterner les scènes dialoguées, référence directe au théâtre, et une voix off, plus proche des outils du documentaire et du cinéma. Les premières racontent l’histoire des personnages, la seconde précise le contexte et trace un itinéraire à leur parcours. Le procédé pour pédagogique qu’il soit, n’a rien d’ennuyeux et renforce au contraire la précision et l’émotion tout en évitant le pathos, le misérabilisme ou la victimisation.

Dirigés avec beaucoup de maîtrise, les acteurs, le temps d’un changement de lumière, d’une pause, d’un déplacement dans le noir, nous entraînent, avec une énergie qui ne se dément pas, dans un autre espace, à un autre moment de l’histoire, rythmant la trajectoire des individus ou cadrant le contexte social et économique.

La pièce s’organise autour des figures du père et du fils – François Brunet et Vincent Remoissenet, deux acteurs à la forte personnalité –. Aussi entêtés l’un que l’autre, ils défendent leur point de vue, à l’étroit sur un territoire commun qu’ils ne parviennent pas à partager, oubliant l’essentiel : parvenir à se dire qu’ils s’aiment. Entre conte moderne et théâtre documentaire, au-delà des questions économiques,  » Les fils de la terre » posent en fait la question universelle de la filiation. Que recevons-nous en héritage ? Qu’avons-nous à léguer ? Éternel problème qui fonde les générations et les tragédies.

Les Fils de la terre
D’après le documentaire d’Édouard Bergeon
Adaptation & Mise en scène : Élise Noiraud
Scénographie : Boris Van Overtveldt
Création Lumières : Philippe Sazerat
Création sonore : François Salmon et Adrien Soulier
Avec Benjamin Brénière, François Brunet, Sandrine Deschamps, Julie Deyre, Sylvain Porchet, Vincent Remoissenet

Vu le 24 Juin 2015 au Théâtre 13
Cette pièce concourt pour le Prix 2015 du Théâtre 13 des jeunes metteurs en scène.

Du 8 au 18 octobre au Théâtre 13
Du mardi au samedi à 20h – le dimanche à 16h

 

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  1. Bravo Dany ! Tout à fait ça ! Bises et bel été à toi ! 🙂

    Kobzili / Répondre

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