Deuxième spectacle à concourir pour le prix du metteur en scène du Théâtre 13, cette adaptation lourdingue et désarticulée des « Illusions perdues » est aussi la première déception.
Si l’on érigeait en principe premier que le théâtre consiste avant tout à faire découvrir un texte, (re)connu ou pas, voilà un spectacle sur lequel il ne serait même plus nécessaire d’aller plus avant dans sa critique. Car Balzac, auteur certes pas aisé à adapter au théâtre (et même au cinéma) subit ici un assassinat en bonne et due forme.
Est-il besoin de rappeler l’intrigue des « Illusions perdues » ? Préférable, cette représentation ne pourvoyant pas forcément à sa compréhension à qui entre dans la salle, vierge de toute connaissance sur le sujet… Le colossal roman de Balzac met aux prises un jeune poète provincial monté à Paris, qui change de nom et se heurte à cette société d’ « esprits lilliputiens », ceux-là même qui « voient leur petitesse chez les autres » selon la formule que l’on retrouve dans « La Peau de chagrin ». Journalistes, éditeurs, intrigantes, politiques sont ainsi passés à la moulinette balzacienne avec la verve que l’on connaît.
Moderne, Balzac ? Plus que jamais. Comme tout observateur zélé et clinicien de l’âme humaine, Balzac franchit les époques et s’affranchit de toute temporalité. Les costumes changent, les comportements demeurent et que vive la comédie humaine ! Outre la peinture souvent vitriolée de la société du grand siècle, « Illusions perdues » constitue à bien des égards une des œuvres les plus autobiographiques de son auteur, puisqu’inspirée de l’expérience d’éditeur de Balzac lui-même.
Trop grand pour elle
Le matériau est donc dense mais pas inaccessible. Son éminente modernité ouvre la voie à une pléthore de propositions. En optant pour trois niveaux de lecture, Laure Roldán a vu grand. Trop grand. Et elle se fait littéralement bouffer par son sujet. Certes est louable l’idée de mêler hier et aujourd’hui, spectacle et coulisses, par souci d’appuyer sur la contemporanéité du propos et la condition de l’artiste par tous les âges. Mais sans articulation, sans fil conducteur que viendraient par exemple agrémenter de significatifs changements de rythme, de costumes, d’éclairage, d’intonation dans le jeu des comédiens (ici d’une médiocrité quasi collégiale si l’on excepte Emmanuelle Lepoutre dont le potentiel n’est pourtant pas utilisé à sa juste valeur), c’est le flop assuré.
Aucun effet de mise en scène ne vient affermir la mollesse ambiante. Des chansons (Cat Stevens, Elton John) prennent place au milieu de ce vaste fatras qui malheureusement ne traduit guère la perpétuelle ébullition du romancier ni la métronomique rigueur de construction de ses ouvrages. Deux personnages se promènent une main gantée de Mappa. Tout cela laisse perplexe quant à la nécessité d’enfler le grotesque par ce genre d’accessoires lorsque le texte n’a de cesse de l’exacerber. La dilution du propos balzacien dans ce salmigondis prend des allures de noyade et le spectateur voit son plaisir s’étioler comme peau de chagrin. Dommage, car la proposition ne manquait pas d’attrait.
Voilà donc le monde !
D’après « Illusions perdues » d’Honoré de Balzac
Mise en scène : Laure Roldán
Avec Félicité Chaton, Nathan Gabily, Maxime Le Gall, Emmanuelle Lepoutre, Alexandre Michel, Marie Rémond, Laure Roldán
Lumières : Vincent Gabriel
Accessoires : Fiammetta Horvath
Théâtre 13
104A boulevard Auguste Blanqui, 75013 Paris
Réservation : 01 45 88 62 22 ou www.theatre13.com
Mardi 14 et mercredi 15 juin à 20h30
Durée : 1h30
C’est étrange, j’ai vu cette pièce également et j’ai l’impression que nous n’avons pas assisté au même spectacle :
– le propos, la narration et l’enchaînement des saynètes sont fluides et clairs : c’est TRES compréhensible.
– les acteurs : je ne connaissais pas Emmanuelle Lepoutre (dont vous faites l’apologie), mais, dans l’ensemble, ils m’ont tous donné le sentiment d’une équipe qui prend plaisir à adapter de manière originale et osée une oeuvre balzacienne complexe.
– l’ambiance et la réaction de la salle ne font pas du tout écho à vos propos : j’y voyais plutôt une belle osmose avec les comédiens.
– par contre, dans votre critique, je ne comprends rien : il y a bien un fil conducteur dans cette pièce et pas dans votre propos. Voilà donc comment on casse gratuitement une jeune troupe motivée, un soir où un(e) critique est mal lunée.
Dommage.