Théâtrorama

Françoise Bloch, une leçon d’économie

Mort à crédit du système bancaire… Le monde de la finance passe sous le scalpel aiguisé de Françoise Bloch, pour être savamment décortiqué dans une pièce qui détourne la forme du documentaire pour se transformer en théâtre d’analyse satirique.

À qui profite le crime économique ? L’enquête est lancée dans ce monde opaque au jargon rébarbatif où finance finit par rimer avec violence. Mais loin d’un récit didactique, qui bourre le crâne de chiffres pour imposer son point de vue, « Money » réussit le pari de spéculer sur le potentiel ironique des mécanismes du profit et de la rentabilité. Le public n’épargne pas ses rires, tout en gardant dans un coin de la tête qu’il serait grand temps qu’il ait une vraie conversation avec son banquier.

L’argent, il faut le prendre de haut, sans jamais le perdre de vue… « Money » déplace la perspective pour introduire le client de bonne foi, celui qui vient simplement confier son argent en espérant réaliser de bons placements qui fassent fructifier son capital en toute transparence, dans un labyrinthe lexical, qui donne le tournis. Même le titre de la pièce est en anglais et semble indiquer que sur le terrain de la mondialisation, mieux vaut avoir un bon dico pour capter ce dialecte, parfois poudre aux yeux, qui embrouille l’esprit. En grattant un peu la dorure de la SICAV, le petit porteur découvre qu’elle est le levier d’une violence qui le dépasse. Et qu’elle actionne des rouages qui finissent par broyer les valeurs élémentaires d’un humanisme défiguré, plus-value après plus-value, pour révéler une logique du profit sans fin.

Money de Françoise BlochLa surface blanche aseptisée du sol et du mur du fond, comme une chambre d’hôpital où l’on garde un malade, ne va pas tarder à se charger de vidéos, réalisées par Benoît Gillet et Yaël Steinmann, qui vont habiller la scène, illustrer les propos des comédiens comme une conférence sur power point ou donner une ambiance décalée, l’ironie en filigrane. Le point de départ de la pièce est le constat d’un homme, en apparence complètement inoffensif, mais que le système a poussé à la violence à l’insu de son plein gré… Un début comme un conte moderne qui évolue en valse à mille temps sur un livret bancaire.

 

Règlement de comptes…

Money de Françoise BlochLa crise de 2008 a changé la donne et ouvert les yeux. Le banquier, qui possédait jusqu’alors la sacro sainte respectabilité d’un médecin de la trésorerie, tombe de son piédestal. Les actifs toxiques font de lui un charlatan qui ne peut plus imposer sa prescription aussi facilement. La méfiance s’installe et, pour la déjouer, les banquiers redoublent de techniques commerciales. La mise en scène de Françoise Bloch s’amuse de cette matière brute dans un jeu de rôle qui enchaîne des saynètes frôlant l’absurde entre banquier et client. Les banquiers s’entraînent et se lancent des challenges, armés de leurs arguments de vente en cartes de mots à placer pour convaincre. Les clients jouent le jeu, mi crédules mi complices. Le texte s’appuie sur des données bien documentées, comme autant d’indices qui mettent sur la voie d’une frontière du raisonnable dépassée depuis bien longtemps.

Les quatre comédiens, exemplaires dans leur interprétation, n’ont que leurs tables et leurs fauteuils à roulettes sur lesquels s’appuyer. Un décor mouvant pendant les intermèdes qui font tourner les tables, à la manière des mages qui impressionnent l’auditoire pour mieux imposer leurs prédictions. Un ballet chorégraphié par Johan Daenen et qui donnerait presque des faux airs de pub bien marketées. Les situations en crescendo d’absurde se multiplient dans un rythme qui s’accélère, comme dans une salle des marchés. Dans ce milieu à dominante machiste, où la testostérone se nourrit des bénéfices réalisés, une seule figure féminine, mise à part la chef d’orchestre Françoise Bloch, incarnée par Aude Ruyter, essaie de faire entendre sa voix. Le langage codé de la finance est décrypté par cette équipe de francs-tireurs, qui dézingue le système pour inviter le spectateur à la réflexion et pourquoi pas… à la révolte citoyenne.

Money
Mise en scène : Françoise Bloch
Assistanat mise en scène : Judith Ribardière
Interprétation : Jérôme de Falloise, Benoît Piret, Aude Ruyter, Damien Trapletti Ecriture : collective
Collaboration artistique : Benoit Gillet
Vidéo : Benoit Gillet et Yaël Steinmann
Scénographie : Johan Daenen assisté de Johanna Daenen
Aide à la réalisation sonore : Jean-Pierre Urbano
Crédit photo : Antonio Gomez Garcia

Au Théâtre National, du 04 au 09 octobre

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