Emma Dante et ses soeurs
Le Sorelle Macaluso d’Emma Dante ou les âmes sœurs… La poésie du quotidien de sept sœurs siciliennes qui remontent le cours du temps. Du sublime à la sauce sicilienne pour cette pièce qui mixe les genres comme une granita artistique. La compagnie Sud Costa Occidentale, créée et dirigée par Emma Dante place la scène belge sous la lumière de l’Italie pour un théâtre d’avant-garde qui frappe le spectateur au cœur.
Palerme : la pièce commence par une procession. Vision fantasmagorique d’une femme en noir gracile qui esquisse des pas à la fluidité imprégnée des chorégraphies de Pina Bausch. Une danse avec la mort partagée par des silhouettes sombres qui avancent en cadence militaire. L’enterrement est le point de départ de ce voyage de la mémoire. L’instant est solennel pour rapidement dériver vers des saynètes qui résonnent comme le film d’Ettore Scola Affreux, sales et méchants. Les sœurs alignées en rang se défont de leur costume noir pour retrouver les couleurs de l’enfance et les fous rires de gamines qui se mélangent aux grimaces.
Elles se souviennent du père ; de ce jour où il les a emmenées à la mer et du drame de l’accident qui a causé la mort de la plus petite. La mémoire devient une boîte de Pandore qui libère tous les mots, de la tendresse à la rancœur. Une boîte à musique, aussi, qui exprime les émotions à fleur de peau. Derrière cette tranche de vie défilant sous nos yeux, la société sicilienne se dessine sans fard ni artifice.
Emma Dante, les jeunes filles et la mort
Une enfance qui picote comme un bonbon acidulé… Sept sœurs éclatantes de complicité qui nous font toucher l’essence de l’humanité du bout des doigts. Sept comédiennes dotées d’une énergie contagieuse qui rend la frontière de la langue secondaire face au langage du corps qui titille directement la corde de l’émotionnel. Derrière la farce et le burlesque à l’italienne, qui rappelle en filigrane qu’Emma Dante est également réalisatrice, tant les scènes deviennent de véritables plans d’un film sans temps mort, se cache une réflexion sur la condition humaine. Ici, pas de discours idéologiques pompeux, juste des anecdotes qui reviennent à la surface de la mémoire à l’occasion d’un enterrement et montrent une réalité crue doublée d’une fantaisie surréaliste. Les morts cohabitent avec les vivants, non pas pour les harceler mais pour les aider à continuer à vivre.
Les sœurs Macaluso ont chacune leur caractère, leurs rêves et leurs blessures, mais elles restent unies face au malheur comme au bonheur dans une solidarité qui ancre la famille dans l’identité sicilienne. Des racines qui résistent aux épreuves et à la mort. Emma Dante joue avec les corps, les couleurs et l’espace, en plasticienne qui propose une dramaturgie novatrice. A côté de la pantomime qui ressemble à un numéro des Three Stooges, la grâce fond sur scène dans les chorégraphies interprétées par Alessandra Fazzino. Le mouvement fend le clair-obscur pour suspendre le temps, comme lorsque le mari fait tournoyer sa femme dans les airs, dans une cristallisation du bonheur. La magie de la pièce fait d’ailleurs oublier le temps. On ne se lasse pas des péripéties de ses sœurs qu’on aimerait suivre plus longtemps et qui nous parlent dans une langue sicilienne tellement universelle.
Ecriture, mise en scène, costumes : Emma Dante
Avec Serena Barone, Elena Borgogni, Sandro Maria Campagna, Italia Carroccio, Davide Celona, Marcella Colaianni, Alessandra Fazzino, Daniela Macaluso, Leonarda Saffi, Stephanie Taillandier
Lumière : Cristian Zucaro
Décor : Gaetano Lo Monaco Celano
Crédit photo: Carmine Maringola
Assistant à la mise en scène: Daniela Gusmano
Durée: 1h10
Traduction française : Matthieu Mével – Surtitres : Franco Vena
Vu au Théâtre National, reprise au Théâtre de Namur du 13 au 15 septembre
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