Sur l’échiquier de la société, la place du fou est aussi limitée que celle d’un pion. Ceux qui ne rentrent pas dans les bonnes cases, sont vite relégués au second plan…
Si le théâtre se transforme souvent en laboratoire expérimentant le champ de l’humain, la création de Sophie Warnant et de Romain Vaillant installe sur scène une réalité dérangeante qui interroge. Ha Tahfénéwai! puise sa matière brute dans un travail en immersion sur le terrain à la clinique psychiatrique de La Borde, en France, et dans le centre de psychothérapie institutionnelle, installé à Farciennes. Pas question de juger. Juste entrouvrir une porte pour laisser un espace de réflexion accessible à tous.
Tout est dans le titre… Derrière cette onomatopée énigmatique se cache la source de la justesse émotionnelle de Sophie Warnant. « Ha Tahfénéwai ! », comprenez « eh t’as fini ouais ! » prononcé avec l’accent liégeois par le frère de Sophie atteint de trisomie 21, quand sa sœur l’asticotait un peu trop. La volonté de partir à la rencontre, non pas de la folie, mais de la différence, apparaît donc comme une évidence. Et le mimétisme sur scène est parfait.
Dans son slip et son sous-pull jaune, elle apparaît dans toute sa fragilité, un teint de porcelaine en harmonie avec la lumière blafarde d’un espace de vie bien froid. Elle fait basculer le public en quelques secondes dans l’univers des hôpitaux psychiatriques. Un hyper réalisme maîtrisé dans une interprétation brillante, mais qui fait redouter une monotonie de la pièce. Heureusement, il n’en est rien, car l’imprévisibilité est roi et nous entraine dans un labyrinthe comportemental, reflet du ressenti des patients dans leur enfermement physique et mental. Le rythme se casse, les portraits s’enchaînent, laissant également la parole aux soignants. Les deux comédiens nous entrainent vers ce point de non retour qui lève les tabous. Sophie Warnant ôte ses vêtements pour énoncer une vérité des faits, crue comme un plat difficile à digérer. Et pourtant, c’est bien la société qu’elle met à nu face à ses responsabilités.
Une pièce qui fait un bien fou…
De la fantaisie aux fous rires, de la folie douce à la crise et aux cris, la pièce nous offre un véritable voyage intérieur et émotionnel. Le travail sur le corps des deux comédiens touche mieux que des mots. Mots qui sont retranscrits sur un écran, pour objectiver un peu plus ce sujet d’étude qui place l’humain au cœur du système. Des morceaux de piano joués par Romain Vaillant aux mouvements en danse libre de Sophie Warnant, chaque intention est à sa place pour une prise de conscience du spectateur plus efficace. De chaque tableau se dégage une énergie brute, parfois violente, qui frappe le public au cœur pour le faire réagir davantage. La marionnette à taille humaine, regard vide et qui peine à s’animer, marque un peu plus cette déshumanisation. Le ballet final de la comédienne, la bouche obstruée par de la glaise, comme un silence qu’on lui impose, donne envie de la rejoindre sur scène pour l’accompagner.
Les chiffres et les faits divers évoqués sur scène interpellent. Si les comédiens se refusent à donner des solutions aux problèmes, ils évoquent ces lieux où ils ont passé du temps et qui offraient aux patients la possibilité d’exprimer leur différence sans être assommés de coups ou de médicaments en retour. A la fin de la représentation, on aimerait ouvrir le débat. Les langues ont percé le bâillon de glaise pour libérer la parole et replacer la folie au cœur d’une discussion raisonnée.
Ha Tahfénéwai !
Conception, écriture, mise en scène et interprétation : Sophie Warnant et Romain Vaillant
Son : Simon Halsberghe
Lumière et régie : Amélie Dubois
Collaboration artistique : Léo De Nijs (Scénographie) et Raven Ruëll (mise en scène)
Production : Compagnie Sujet Barré, Festival de Liège, Théâtre National/Bruxelles, Theater Antigone Avec le soutien de l’ANCRE/Charleroi et de La Chaufferie-Acte1 – pratiques théâtrales, recherche & développement.
© Andréa Dainef & Dominique Houcmant/Goldo
Du 01 au 5 décembre au Théâtre National
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