Théâtrorama

Une Cendrillon sans cliché

Une Cendrillon sans clichéUne réécriture du conte qui passe un coup de balai sur les clichés pour transformer Cendrillon en femme moderne, n’ayant plus besoin de trouver chaussure à son pied pour se sentir vivre.

Cendrillon à travers le prisme du deuil… Joël Pommerat propose une lecture psychanalytique d’un conte trop souvent perçu comme une fadaise un peu fade. « C’est la question de la mort qui m’a donné envie de raconter cette histoire, non pas pour effaroucher les enfants, mais parce que je trouvais que cet angle de vue éclairait les choses d’une nouvelle lumière. » Après « Pinocchio et Le Petit Chaperon Rouge », il offre une version régénérée qui séduit tous les publics.

Il était une fois une très jeune fille qui ne ressemblait en rien à la jolie potiche qui jouait la Cosette pour belle-maman. Sandra, le ménage, elle le vit comme une punition justement méritée. Et plus la tâche est avilissante, mieux c’est. Son obsession ? Penser à sa mère morte en permanence pour que celle-ci ne meure pas une fois de plus. Un toc de gamine sous le choc du décès maternel, entretenu par une erreur d’interprétation, car les mots sont parfois trompeurs. Les paroles inaudibles de la mère sur son lit de mort deviennent une promesse trop lourde à porter. Un diktat qui lui enlève toute joie et tout respect d’elle-même quand elle faillit à sa mission, malgré la montre géante qu’elle porte à chaque instant et qui sonne toutes les cinq minutes pour lui rappeler de ne pas oublier de penser à sa mère.

Plutôt que de sortir la carte de la compréhension, son entourage, qui a déjà pas mal à faire avec ses propres névroses, la prend en grippe et la traite en parfait souffre-douleur. Le père, impuissant et lâche face à la situation, bascule dans un tabagisme compulsif. La belle-mère, partisane d’un jeunisme à l’extrême, établit sa dictature en rêvant à un destin de midinette. Les deux sœurs l’exploitent en resserrant leurs liens sur ce bon bouc émissaire. Les éléments du conte originel se distillent, mais sont vite transformés par Pommerat l’alchimiste. Le prince perd ainsi son côté charmant pour devenir un double un peu gauche de Sandra. Quant à la bonne fée, qui s’essaie à la magie des humains pour ne pas avoir à utiliser ses pouvoirs, elle apparaît en vieille beatnik un peu blasée par ses siècles d’existence. Un détournement magistralement réussi où les personnages ne se racontent plus d’histoires pour prendre leur destin en main.

Cendrillon,de Joël Pommerat

De Sandra à Cendrillon

La mort devient le point de départ du conte, supprimant au passage un tabou pour les enfants. Sandra n’est pas victime des maltraitances de sa belle-mère. Elle devient l’héautontimorouménos, le « bourreau de soi-même » qui se torture volontairement et se rend responsable, non pas du décès de sa mère, mais d’une deuxième mort symbolique. Elle se martyrise, aidée par une belle-mère qui n’hésite pas non plus à se charcuter pour paraître plus jeune.

Le duo époustouflant formé par Deborah Rouach (Sandra) et Catherine Mestoussis (la belle-mère) porte la pièce dans une fluidité continue. Sandra s’enferme dans un schéma de pensée qui se matérialise dans un rétrécissement de l’espace. Sa vie, loin d’être un épanouissement de jeune fille en fleurs, se restreint à une chambre qui ressemble à un gourbi. Son existence se limite volontairement au ménage. Son corps est enferré avec son accord et sur les bons soins de sa belle-mère dans un corset qui l’empêche de respirer. Elle paraît toute petite face à l’immensité de cette maison en verre (réinterprétation allégorique de la pantoufle en vair ?) ultra moderne dans laquelle elle vit.

Une scénographie dénudée et qui joue sur la lumière, de la pénombre comme un voile de tristesse et de morosité à la clarté qui décille le jeune fille. Sandra, « Cendrier », comme l’appelle ses sœurs, n’a rien de la jeune fille timide et docile (bonne à marier). Têtue, revêche, insolente, pas sympa aux premiers abords, elle n’en est que plus attachante. Le prince ? Elle n’y rêve pas. Elle tombe dessus par hasard et il la surnomme « Cendrillon » dans un malentendu heureux qui conjure la malédiction des mots. Quant à la pantoufle, si Sandra est bien à côté de ses pompes, c’est le prince, mal dans ses baskets qui perd un de ces mocassins Heschung. Une inversion symbolique qui transformerait presque Cendrillon en féministe finissant par s’affranchir de tous les codes préétablis pour trouver sa propre voie.

Cendrillon
Texte et mise en scène : Joël Pommerat
Scénographie et lumières : Eric Soyer
Assistant lumières : Gwendal Malard
Costumes : Isabelle Deffin
Son : François Leymarie
Vidéo : Renaud Rubiano
Musique originale : Antonin Leymarie
Interprétation : Alfredo Cañavate (Le père de la très jeune fille), Noémie Carcaud (La fée, une soeur), Caroline Donnelly (La seconde soeur, le prince), Catherine Mestoussis (La belle-mère), Deborah Rouach (La très jeune fille), Marcella Carrara (La voix du narrateur), Nicolas Nore (le narrateur), José Bardio (figuration)
Assistant mise en scène : Pierre-Yves Le Borgne
Assistant mise en scène tournée : Philippe Carbonneaux

Crédit photos: Cici Olsson

Au théâtre National jusqu’au 28 janvier

 

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